C’est une pièce sombre dans laquelle pénètre par l’une des petites fenêtres, un faisceau lumineux soutenu, telle la manifestation d’un symbole céleste. Les yeux plongés sur de grandes photographies, l’esprit en évasion… Ayeshah Jammeh arpente d’un pas feutré, un bout de ce qui est devenu la mémoire collective des Gambiens.
Ayeshah Jammeh, la mémoire du passé pour la justice et la démocratie
12 août 2024
La jeune femme de 33 ans vient régulièrement se recueillir dans ce lieu unique qu’est la « Memory House » situé à Banjul, la capitale gambienne. Dans le pavillon, des lettres manuscrites, des effets personnels, des dessins et des photos qui racontent et rendent hommage aux victimes de la période contemporaine la plus sombre de l’histoire du petit pays enclavé d’Afrique de l’Ouest. Pendant 22 ans, sous le régime de Yahya Jammeh, de nombreuses et répétées violations graves des droits humains ont été perpétrées.
Une blessure personnelle et collective, un combat pour y faire face
Cette histoire, son histoire, Ayeshah ose la regarder en face et même la défier. Elle, nièce de Yahya Jammeh. Elle, dont le père et la tante ont été tués par les agissements du dictateur, relate-t-elle. Mais quand ce dernier a été déchu en 2017, Ayeshah, comme tant de Gambiens, a choisi de faire de cette insondable et éternelle blessure, la genèse d’un combat pour elle, pour les autres victimes et pour le futur de la Gambie.
« Je suis capable de m'en sortir parce que je crois que mon courage et ma force, que je tiens surtout de ma mère, sont une source inépuisable d’inspiration. Je suis capable de parler en mon nom en tant que victime de violations des droits de l'Homme, ce qui me donne une voix forte pour faire ce que je fais actuellement. Cela n'a pas été un long fleuve tranquille, loin de là. Mais je suis ici aujourd'hui pour rendre justice à ma famille » confie-t-elle.
Dans l’esprit de la « Memory House », la jeune femme a créé un podcast d’une vingtaine d’épisodes. « The victim’s podcast », qui se définit comme « le premier podcast sur la justice transitionnelle en Gambie ». Elle donne la parole aux victimes du régime Jammeh, aux spécialistes de la paix et de la justice et relate des épisodes marquants de la dictature. Une autre forme d’expression et un autre espace dans cette quête de justice.
Mais son plus grand rôle, Ayeshah l’exerce comme activiste et cofondatrice du « The Gambia Center for Victims of Humans Rights Violations », une organisation non gouvernementale qui a recensé les victimes, documenté leur histoire mais aussi leur a offert un soutien psychologique et des conseils juridiques. Ayeshah est la responsable des programmes et de la documentation.
Ce travail crucial, en lien avec le nouveau gouvernement en place soutenu par les institutions internationales telles l’ONU et notamment le PNUD, Programme de Nations Unies pour le Développement, a permis à l’organisation de faire remonter de précieuses informations ayant servies à alimenter les travaux de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) entre 2018 et 2022.
Tout le pays a suivi avec attention le déroulé de cette Commission dont la caractéristique était d’être inclusive et populaire. Alors que tout le monde attend maintenant la publication du livre blanc, qui comportera les recommendations issues de la TRRC, le Gambia Center for Victims of Humans Rights Violations continue de mener des plaidoyers auprès des autorités pour arriver à bout de ce processus.
« La justice doit être totalement rendue. Je crois fermement que la défense des droits des victimes pour la justice est un moyen de s'assurer que les abus et les crimes ne se reproduiront plus jamais. C’est aussi cela qui va nous permettre à l’avenir de tourner la page et de s’orienter pleinement vers une ère marquée par la bonne gouvernance. » rappelle Ayeshah.
L’espoir de lendemains radieux
La jeune femme considère que des avancées notables ont d’ores et déjà été faites sur le plan de la démocratie et de la stabilité, depuis que Adama Barrow est aux affaires.
« Avant c’était le néant, donc ça change ! Maintenant nous avons la liberté d’expression et de parole. Mais rien n’est jamais acquis, alors il faut rester vigilant. C’est aussi notre rôle en tant que citoyens! Je pense que la jeunesse qui a appris de son histoire est désormais plus consciente, plus éveillée. »Ayeshah Jammeh, militante et cofondatrice du Centre pour les Victimes de Violations des Droits Humains en Gambie.
Une jeunesse dont Ayeshah estime qu’elle est de plus en plus écoutée et impliquée dans les processus de décisions politiques. Ce qui, à terme, confère à la jeunesse davantage d’opportunités, notamment sur le plan professionnel.
« Nous avons des hommes et nous avons surtout des femmes, qui sont inspirantes, déterminées, entreprenantes, dans beaucoup de domaines comme l’agro-industrie, le numérique, les affaires… Notre travail est d’abord pour rendre justice aux victimes, mais c’est aussi pour les jeunes et pour les femmes. Pour leur permettre d’avancer. Voilà mon rêve pour l’avenir ! » a-t-elle conclu.