Musique, art et culture au Sahel…un poid en une demi-mesure

Un proverbe bien connu dit que la musique adoucit les mœurs. Au Sahel, connu pour l’immensité de sa richesse musicale, la musique accompagne le quotidien autant qu’elle dépeint les sociétés et ses évolutions. Qu'elle s’exprime par les chansons de musique Mandingue, les balades de blues Touareg, les rythmes du Mbalax, de l’afrobeat ou du coupé-décalé, et les textes rap et reggae, la musique est à la fois instrument spirituel, support éducatif et vecteur de changement. Depuis quelques années, l’avènement du digital et des plateformes de streaming booste la structuration, même inégale, de l’industrie musicale comme facteur de développement dans les pays du Sahel.

8 août 2024
a man looking at the camera

Burkina Faso

Photo : PNUD WACA

Au Burkina Faso, l’art de la prise de conscience en musique

Alif Naba s’en souvient comme si c’était hier. De retour après une longue absence dans son village familial à l’intérieur du Burkina Faso, il s'aperçut que la marre dans laquelle il avait pour habitude de se baigner petit, était asséchée. Renseignement pris auprès des habitants, il constate que cela dure depuis plusieurs mois déjà. Nous sommes en 2015, marqué par ce fait, il écrit « Et maintenant »,   un titre sur le changement climatique qui résonne alors avec le tenue de la Cop 21 à Paris. Dès lors, l’artiste chanteur compositeur et interprète n’aura de cesse d’alerter ses auditeurs en musique sur les enjeux majeurs du réchauffement planétaire.

Dans un style très personnel mélangeant folk et musique traditionnelle, l’artiste burkinabé ne ménage aucun effort lorsqu’il s’agit de porter haut les revendications et combats sociaux dans l’espace culturel.
 

« Le rôle de mon art c’est de dénoncer les travers et les difficultés auxquels nous faisons face, d’en parler, d’aider les gens, mais surtout de les conscientiser à travers ma musique. Je me rends compte que cela paye puisque ma musique à un impact positif non seulement auprès des populations, mais aussi des autorités »
Alif Naaba, artiste burkinabé

Au Burkina Faso, là où se déroule actuellement une violente crise multidimensionnelle, la musique et l’art en général apparaissent comme une véritable soupape de décompression pour les populations. Un moyen de s’évader. Les évènements culturels, au premier rang desquels le Fespaco, vitrine du Burkina Faso et grande messe du cinéma d’Afrique, connaissent d’importants succès populaires et médiatiques chaque année. 

Au « pays des hommes intègres » au delà de remplir les salles de concerts et les stades, la force des artistes réside dans leur capacité à agir comme de véritables détonateurs en faveur du changement. En 2014, la puissante mobilisation de la société civile sous la houlette d’un collectif d’artistes hip hop a contribué à la chute du président de l’époque, Blaise Compaoré. 

« Quand il y a des crises dans nos pays, ce sont souvent les artistes qui contribuent à calmer les tensions ou à définir une vision. Les artistes ont le pouvoir de changer les choses positivement ou négativement. Au Burkina Faso c’est plutôt positif. Les artistes sont des voix pour le peuple. A travers notre art nous permettons aux gens de faire de meilleurs choix » affirme Alif Naaba.

Au Nigeria, politique et gouvernance sur des rythmes afrobeats

La politique, ce n’est pas ce qui caractérise en premier lieu les rythmes de l’afro beat qui se sont aujourd’hui imposés partout dans le monde. Les artistes de ce style de musique nigériane ont surtout tendance à aborder des sujets plus personnels tels que l’argent, la réussite, l’amour…Certains pourtant ont choisi de s’engager en musique pour tenter d’éveiller les consciences citoyennes et politiques. 

DanDizzy, un artiste rappeur originaire de Port Harcourt a ainsi parcouru plusieurs Etats du Nigeria à l’aube des dernières élections générales de 2023. Avec son enceinte bluetooth sous le bras, il est allé dans la rue à la rencontre des plus pauvres et des moins éduqués pour les inciter à voter. Sa formule ? Un flow entêtant au service d’un texte bien travaillé, le tout plaqué sur un rythme afrobeat dansant. Une performance « live » originale qui a décidé de nombreuses personnes autour de lui à s’enregistrer auprès de la commission électorale nationale indépendante pour obtenir leur carte de vote. 

« C’est plus cool et plus encourageant d’aborder les questions de politique et de gouvernance en musique. Ici on ne vient pas sermonner les gens et du coup ils sont plus facilement convaincus. Tout est dans l’approche! Avant j’étais de ceux qui pensaient que c’était inutile de voter, mais plus maintenant. Nous avons besoin de nous mobiliser pour obtenir le changement que nous voulons. La musique reste l’un des meilleurs moyens pour cela »
DanDizzy, artiste rappeur originaire de Port Harcourt

L’idée originale de ce type de prestations provient en fait de l’entreprise nigériane « Tasck Creative » , qui met en relation les artistes et les plateformes afin de créer du contenu et du débat sur les questions à fort impact social et politique.

Des industries créatives facteurs de développement

Des initiatives et innovations qui rappellent qu’en termes de visibilité des artistes et de structuration des industries culturelles, le Nigeria reste un exemple à suivre pour ses voisins sahéliens. Au pays de l’afrobeat, le cinéma via son industrie de Nollywood agit depuis une vingtaine d’années comme un soft power puissant sur la scène internationale, notamment aujourd’hui sur les plateformes de vidéo à la demande. Le géant économique africain est aussi l’un des fer de lance continental dans le secteur de l’art contemporain.

Si les industries culturelles opèrent davantage comme des moyens d’émancipation intellectuelle dans les pays francophones, leur potentiel économique et de développement est encore sous exploité, à l’inverse des pays anglophones. Rien que pour la musique, les pays d’Afrique francophone comptent environ 400 millions de potentiels consommateurs dont 65% ont moins de 25 ans. Un atout majeur à l’heure du digital. Selon une étude prospective, les revenus du streaming musical africain devraient tripler entre 2021 et 2026, passant de 92,9 millions de dollars à 314,6 millions de dollars.