Dans le cadre de mon travail, je voyage fréquemment à travers l’Europe et Asie centrale et parfois même au-delà ; malgré ma passion pour la découverte de nouvelles cultures, traditions, langues ou cuisines, mes voyages ne sont pas toujours aussi excitants qu'ils peuvent sembler.
Le cauchemar commence généralement à l'aéroport. À mon arrivée dans un autre pays, en tant que ressortissant tadjik, on me pose des questions intrusives et souvent absurdes. J'ai également besoin de visas pour voyager dans la plupart des pays, y compris dans trois pays limitrophes : la Chine, l'Afghanistan et l'Ouzbékistan.
Au travers de cette expérience personnelle, je m'identifie aux milliers de personnes travsersant chaque jour la frontière longue de 1 300 kilomètres entre l'Afghanistan et le Tadjikistan. En tant qu'agent de programme sur la gouvernance, la primauté du droit et les droits de l'homme, je supervise et surveille un programme de gestion des frontières, en veillant à l'équilibre délicat entre la sécurité nationale d'une part, et la liberté et la dignité personnelles de l'autre.
Cet équilibre est important car une frontière joue un rôle essentiel dans le développement. Elles permettent le commerce, de se rencontrer, d’échanger. Les frontières ont également un rôle crucial pour la gestion des conflits et la mise en place de services gouvernementaux.
J'ai toujours eu du mal à accepter l’idée qu’une frontière puisse être sûre et ouverte en même temps - du moins dans le contexte particulier à l’Asie centrale où les conflits se propagent rapidement aux pays voisins.
J'ai récemment passé une semaine à évaluer les passages frontaliers à six points de passage différents entre Shoghun et Ishkashim. Hautement montagneuse, la région est considérée comme l'une des plus vulnérables, du fait de son isolement et des risques de catastrophes climatiques. Chaque samedi, des centaines de personnes franchissent la frontière à ces différents points. Ils forment de longues files d'attente (entre 10h et 15h) : une fois arrivés au Tadjikistan, ils peuvent acheter et vendre des produits agricoles, locaux, artisanaux ou des vêtements sur le marché.
Depuis 2015, le PNUD et l'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) collaborent pour renforcer la sécurité dans les zones frontalières du Tadjikistan et de l'Afghanistan afin de réduire la menace du terrorisme et de l'extrémisme religieux, le trafic illicite de stupéfiants et la traite des êtres humains. Bien qu'étant de véritables goulets d'étranglement, ces postes sont devenus des points de transit modernes, équipés de la technologie CCTV mais aussi, chose intéressante, incroyablement ouverts et sophistiqués.
À Tem, situé dans la ville de Khorog, dans la région autonome du Gorno-Badakhshan, j'ai trouvé le joyau de la couronne de tout ce réseau. Là-bas, les autorités frontalières tadjikes et afghanes se sont formellement mises d'accord sur une procédure simplifiée de passage des frontières, supprimant complètement les visas d'entrée. Un jour avant le marché, les autorités frontalières afghanes soumettent une liste de visiteurs à leurs homologues tadjiks, qui vérifient les informations.
Une fois au marché, j'ai remarqué que de nombreux visiteurs portaient différents types d'identification. Ceux-ci ont été autorisés à utiliser des cartes électorales, des cartes d'identité nationales ou même des permis de conduire. Cette procédure est vraiment progressiste et incroyablement utile pour permettre aux personnes les plus vulnérables d'accéder à des emplois et de gagner de l'argent.
Les gens sont venus au marché de la province montagneuse du Badakhshan, en Afghanistan, isolée et économiquement défavorisée.
J'ai rencontré une femme afghane qui vendait quelques paquets d'herbes médicinales séchées, d’autres achetant du savon, des vêtements, du pétrole et d'autres produits qui n'étaient pas disponibles ou pas abordables dans leur propre village.
Les chiffres confirment l'importance de ces postes frontaliers. En 2017 seulement, via les six points de passage frontaliers ciblés, des centaines de citoyens afghans ont traversé la frontière et des douzaines ont reçu une aide médicale d'urgence au Tadjikistan, principalement des femmes cherchant de l'aide médicale suite à des complications lors de l'accouchement.
La frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan a été établie en 1895, divisant des communautés entières. Mais les personnes que j'ai rencontrées ont refusé d’être fataliste. C'était émouvant de les voir se reconnecter malgré les barrières, et gratifiant de voir notre travail porter ses fruits.