Le Tchad accélère sa course vers l’adaptation au changement climatique. Et après ?
7 décembre 2023
Les rapports sur la saison des pluies au Tchad en 2022 (en anglais) étaient choquants : plus d’un million de personnes ont été déplacées en raison des inondations et plus de 465 000 hectares de terres agricoles ont été dévastées, ce qui a aggravé l’insécurité alimentaire déjà aigüe. Les inondations – les pires depuis 30 ans – ont conduit le Président de la République du Tchad à décréter l’état d’urgence et à faire appel à des organisations et partenaires humanitaires nationaux et internationaux à l’appui du gouvernement dans l’aide aux personnes touchées.
En décembre, les niveaux de l'eau du fleuve Chari étaient retombées à environ 3,5 mètres (en anglais), après avoir atteint un pic de plus de 8 mètres le mois précédent. Cependant, vers la fin de la saison sèche, le niveau de ce fleuve était encore deux mètres plus haut que la normale. J'ai pu le constater moi-même au mois de mars suivant, en inspectant les échelles limnimétriques récemment installées le long de la rivière.
D'une part, les communautés habituées aux conditions de sécheresse profitaient de cette situation, en pratiquant l'irrigation à petite échelle et en abreuvant leurs animaux. Mais en contrepartie, ces échelles limnimétriques nous alertaient : si l'eau ne retrouvait pas un niveau normal pendant la saison sèche, des inondations risquaient de se produire lors de la saison des pluies suivante.
En effet, en août 2023, de nouvelles inondations ont eu lieu, provoquant le déplacement de communautés du Tchad vers le Cameroun.
Pourquoi le Tchad est-il aussi vulnérable au changement climatique ?
La République du Tchad, cinquième plus grand pays d'Afrique, est constituée de zones sahariennes, sahéliennes et soudaniennes. Elle abrite donc des zones où règne un climat très chaud et aride, en passant par semi-aride, à subtropical, dont le paysage est caractérisé par trois bassins distincts, dont le Chari, qui est le plus grand fleuve du pays (long de 1 200 km) prenant sa source en République centrafricaine, et son affluent, le Logone (long de 1 000 km), qui provient du plateau de l’Adamaoua au Cameroun.
Pays enclavé, le Tchad est l’un des pays les plus chauds et les plus secs au monde. Il a connu une sécheresse persistante depuis des décennies. En raison de la rareté de l’eau et de l’assèchement temporaire de certains cours d’eau, les populations ont eu tendance à s’établir, ainsi que leurs moyens de subsistance, à proximité de points d’eau. L’excès d’eau issu d’une pluviométrie atypique en saison plus humide que la normale entraîne des aléas climatiques de nature à exacerber la vulnérabilité des communautés aux inondations.
En outre, le Tchad est confronté à une grave dégradation de l’environnement, fragilisé par les variabilités du climat. Cette fragilité particulière se renforce et s’illustre par l’intermittence ou l’augmentation des précipitations entrainant de fréquentes sécheresses, inondations et invasions acridiennes. Dans le nord, les conditions de sécheresse persistantes ont accéléré la désertification, entraînant une réduction des zones propices à l'agriculture et à l'élevage, et une régression des zones de pâturage du bétail plus au sud.
Selon les prévisions, le Tchad continuerait de se réchauffer et de s’assécher tout au long du 21ème siècle, affaiblissant les rendements de l’agriculture et encourageant des pratiques de pâturage plus néfastes. Les défis sont immenses pour un pays dont environ 80 pour cent de la population dépend de l’agriculture de subsistance et de l'élevage pour leur subsistance, et où 42 pour cent de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté.
Le gouvernement tchadien reconnaît que le changement climatique constitue une menace réelle et importante et travaille avec ses partenaires pour y faire face. Ces efforts contribueront de façon significative à renforcer la résilience climatique du pays.
Le Tchad peut-il être prêt à s’adapter ?
En 2017, lorsque le Tchad a lancé son processus de Plan National d'Adaptation (PNA) (en anglais) avec l'appui du PNUD, l'objectif était de se préparer à moyen et long terme.
Ce premier travail a été important, car il posait les bases du lancement d'un projet de 4 ans (2019 - 2023) sous l’auspice du ministère de l'Environnement, de la Pêche et du Développement durable, visant à faciliter davantage l'intégration de l'adaptation au changement climatique dans les politiques et plans de développement à moyen et long terme. Cette approche doit permettre au pays de gérer sa fragilité au changement climatique dans les secteurs sensibles tels que l’agriculture, l’élevage, la pêche et les ressources en eau.
Ce projet, rendu possible par une subvention de 5,8 millions de dollars du Fonds pour l'environnement mondial pour les pays les moins avancés et, notamment, plus de 23 millions de dollars de cofinancement, a permis de réaliser des progrès importants dans plusieurs domaines clés.
Principale réalisation : en février 2022, après toute une année de consultations approfondies aux niveaux national, régional et local, le pays a soumis son premier Plan National d'Adaptation (PNA) (en anglais) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), en se fondant sur les informations produites par le projet. Aligné sur la contribution déterminée au niveau national (NDC) du pays, le Plan National d'Adaptation constitue une étape très importante, qui prépare le pays à une réponse éclairée et efficace au changement climatique. La qualité des deux documents (en anglais) a été reconnue par la communauté internationale.
Soixante-quatre stations synoptiques fonctionnant à l'énergie solaire ont été installées dans le cadre du projet – s'ajoutant aux 16 stations synoptiques classiques déjà opérationnelles, ce qui a permis de quadrupler la couverture – pour le recueil et la transmission en temps réel d’informations météorologiques fiables. Les parties prenantes de tous les secteurs sensibles au climat ont été formées à la compréhension et la diffusion de prévisions météorologiques, notamment pour la diffusion télévisée. Des échelles limnimétriques ont été installées pour faciliter le suivi et les alertes sur les risques d'inondation des fleuves Chari et Logone. Ces données et informations hydrométéorologiques sont cruciales pour les alertes précoces ainsi que pour guider la prise de décision politique.
Parallèlement, de précieux documents de connaissances et d’orientation spécifiques au pays ont été élaborés à l’intention des institutions nationales, tels que des analyses de la vulnérabilité climatique dans tous les secteurs, des conseils sur la manière de préparer et de publier des prévisions météorologiques et des lignes directrices concernant le suivi et l’évaluation de l’adaptation.
À l'appui des processus de planification, neuf plans de développement provinciaux et de budgétisation sectoriels ont été élaborés intégrant les actions prioritaires en matière d'adaptation au changement climatique.
A quoi ressemblent ces plans ? Dans la province du Mayo-Kebbi Ouest, qui subit fréquemment de graves inondations et sécheresses, y compris celles de 2022, le plan a défini des options d'adaptation chiffrées dans les secteurs de l'agriculture, de la gestion des ressources en eau, de l'élevage, de la pêche et de l'aquaculture. En matière de gestion des ressources en eau, les options d'adaptation comprenaient la mise en place de réservoirs d'eau surélevés, le captage des eaux souterraines, le développement de l'irrigation et la restauration des paysages dégradés.
Cinq-cent-vingt décideurs politiques, soit cinq fois plus que l'objectif initial du projet, ont ainsi pu développer leur compréhension des risques que fait peser le changement climatique sur les secteurs économiques ainsi que leur capacité à identifier les options d'adaptation prioritaires dans chaque secteur clef du développement. Ce résultat reflète le très haut niveau d’intérêt du pays pour l’action climatique.
Et après ?
Ces réalisations, ainsi que d’autres efforts, aident le Tchad à renforcer sa capacité d’adaptation au changement climatique et, sur la base de ces travaux. Certaines voies d’adaptation sont désormais en cours de mise en œuvre et d’autres sont à l’étude.
Il est également prometteur de voir le Fonds pour l’environnement mondial et ses partenaires mettre en œuvre un autre projet soutenu par le PNUD pour promouvoir la gestion communautaire des risques climatiques. Ce projet s'appuie sur le projet PNA pour aider les communautés à tirer parti des informations climatiques pour s'adapter et prendre des mesures précoces leur permettant de préserver leurs moyens de subsistance et de se rétablir rapidement grâce à la participation à des programmes d'assurance climatique indicielle.
Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, la couverture du système de surveillance climatique du pays est encore infime par rapport à la taille et aux besoins du pays. Conscients de cela, le PNUD et ses partenaires ont facilité cette année la participation du Tchad au premier groupe de sept pays soutenus par le programme mondial de 157 millions de dollars sur les Systèmes d'alerte précoce pour tous d'ici 2027, une initiative menée par le Secrétaire général de l'ONU.
Davantage de financements seront nécessaires pour transformer les plans en actions et pour répondre aux besoins croissants des différents secteurs qui subissent les menaces du changement climatique.
Heureusement, les retours sur investissement sont prometteurs. Le Tchad est un pays où les mesures d'adaptation se transforment facilement en gains de développement et en résultats positifs à long terme.