La pandémie a aggravé les inégalités sous de nombreux aspects. Il est frappant de constater que les inégalités au sein des pays sont désormais plus importantes que celles observées entre les pays. Ainsi, pour beaucoup, cela signifie de vivre en étant privé des services de base, comme des soins de santé adéquats, l’éducation ou l’accès à internet. Les 40 % de la population les plus pauvres sont véritablement délaissés, brisant la promesse du Programme 2030 qui vise à « ne laisser personne de côté ».
En Inde par exemple, où près de 370 millions de personnes vivaient en situation de pauvreté multidimensionnelle avant la pandémie, les écoles sont fermées dans la plupart des États depuis avril 2020. Depuis près de deux ans, de nombreux enfants issus de foyers déjà souvent marginalisés n'ont pas pu fréquenter leur école (ou seulement par intermittence) ni bénéficier de repas scolaires nutritifs. En conséquence, une grande partie des enfants ont non seulement manqué des années d'enseignement cruciales à leur âge, mais aussi un repas important de la journée – un repas que de nombreux parents ne sont pas en mesure de fournir à la maison. Dans le même temps, certains enfants ont eu la chance de profiter d'une expérience scolaire presque ininterrompue grâce aux cours en ligne, confortablement depuis chez eux. Bien que cela ait coûté très cher à de nombreuses familles, celles-ci ont pu au moins le mettre en place, alors que des millions d'enfants ont été tout simplement laissés de côté. Il en va sensiblement de même pour l'accès aux soins de santé primaires, aux vaccins et à d'autres services de base. L’écart continue de s’élargir, non seulement en Inde et dans les pays en développement, mais aussi dans les pays riches.
Les groupes particulièrement vulnérables et marginalisés – en raison de leur appartenance religieuse, de leur caste, de leur sexe ou de leur âge – ont été davantage laissés de côté à cause des effets socio-économiques de la pandémie. À titre d'exemple, pendant la crise de COVID-19, les disparités entre les sexes se sont creusées et la violence sexiste s'est accrue. L'outil de suivi mondial des mesures sexospécifiques de lutte contre la COVID-19 du PNUD (COVID-19 Global Gender Response Tracker) a montré que les gouvernements ont en grande partie ignoré la dimension de genre dans leur réponse à la pandémie. En effet, moins d’un cinquième de l’aide apportée pendant la crise était dirigée par des femmes et orientée vers elles. Dans l'ensemble, de nombreux progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies en matière de réduction de la pauvreté. Des inégalités horizontales entre les groupes (par exemple, l'égalité de genre) ont été corrigées, voire inversées. La situation reste néanmoins très préoccupante et exige des actions audacieuses dans le domaine du développement humain afin que la promesse de ne laisser personne de côté puisse véritablement être tenue.
L'inégalité des chances, comme le fait d'être né dans un groupe marginalisé dans un pays pauvre, influence profondément la façon dont les gens vivent avec la pandémie et affrontent ses conséquences. L'accès aux vaccins est l'exemple le plus frappant. Alors que 62 % de la population mondiale est aujourd'hui vaccinée, dans les pays à faible revenu, seule une personne sur dix est vaccinée, non pas par choix mais par manque d’approvisionnement. En outre, alors que les pays développés ont pu déployer des programmes d'aide à grande échelle avec des dépenses de relance de près de 10 000 dollars par habitant, une personne vivant dans l'un des 46 pays les moins avancés (PMA) n'a pu bénéficier que de 20 dollars en moyenne. Naître dans un pays pauvre apparaît clairement comme un désavantage en ce qui concerne la possibilité de vivre longtemps et en bonne santé. Selon les idées fondatrices d’Amartya Sen sur une amélioration des capacités plutôt que du revenu moyen ou du PIB, les inégalités croissantes dans les domaines liés à la qualité de vie ne doivent pas seulement être prises en compte, mais faire l'objet d'une action urgente.
Une façon de dépasser le seul revenu moyen est de décomposer et de repérer les différentes composantes de la contribution au revenu d'un pays et de suivre les progrès des 40 % de la population les plus pauvres. Après tout, l'un des principaux objectifs des ODD est de parvenir à une croissance plus rapide pour les 40 % de la population les plus pauvres. Malheureusement, notre récente analyse (publiée sous forme de note de synthèse dans Development Future Series - en anglais) montre que ce pourcentage de la population serait encore plus à la traîne que nous ne le pensions. La part des revenus perçus par le décile supérieur est elle aussi plus élevée que prévu.