LE CHARBON ECOLOGIQUE : UNE SOLUTION LOCALE POUR LA TRANSITION ENERGETIQUE DU CAMEROUN ?
27 décembre 2022
C’est un vendredi, aux environs de 10 heures dans un quartier de la ville de Maroua, que le promoteur de la startup Energetic Solutions for All rend visite à un groupe de femmes qu’il a récemment formées à la fabrication du charbon écologique. C’est une activité qu’il mène avec son association depuis environ 18 mois, afin d’aider sa communauté à répondre efficacement à la pénurie d’énergie de cuisson. Par ailleurs, a-t-il rapporté, c’est une activité qui génère des ressources et permet de s’autonomiser sur le plan socioéconomique.
Comme lui, plusieurs autres artisans répartis dans toutes les régions du pays développent des solutions de cuisson dites propres pour répondre au besoin en énergie sans cesse croissant des populations. Selon ces derniers, c’est une action importante qui contribue aux efforts du Gouvernement en matière de transition énergétique.
Afin de mieux (i) comprendre et informer sur les enjeux liés à la production et à la consommation du charbon écologique au niveau local ainsi que ses effets sur le plan macroéconomique et (ii) analyser les contraintes et les leviers nécessaires à prendre en compte dans le cadre de l’hypothèse d’une transition vers le charbon écologique, le Laboratoire d’Accélération du PNUD est allé à la rencontre d’une cinquantaine d’artisans locaux et de consommateurs de charbon écologique. Les méthodes d’analyse utilisées lors de ces rencontres étaient : l’immersion, l’ethnographie, l’intelligence collective, l’analyse comportementale et l’expérimentation.
Le défi énergétique en Afrique et au Cameroun
En Afrique, plus de 850 millions de personnes dépendent du bois de chauffe et du charbon de bois pour cuisiner. Ceci constitue une réelle menace à la gestion durable des forêts. Selon un rapport de la FAO , le couvert forestier de l’Afrique subit des pertes de près de 04 millions d’hectares par an, d’où les nombreuses inquiétudes de la communauté internationale. En effet, les forêts ont une capacité de séquestration du carbone et atténuent généralement les gaz à effet de serre, responsables des changements climatiques qui ont des effets néfastes sur les populations, surtout les plus vulnérables.
Au Cameroun, malgré l’existence d’une diversité de ressources énergétiques, la consommation d’énergie domestique est constituée à 82,3 % de bois de feu, 30,6 % de charbon de bois et 27 % de gaz sur l’ensemble du territoire national. En zone rurale et dans certaines régions du pays telles que l’Extreme-Nord, le Nord et l’Est, l’on note une plus grande utilisation du feu de bois comme énergie de cuisson, soit 95%. En plus de la déforestation sans cesse croissante, cette utilisation accrue du charbon de bois est l’une des causes responsables de pollution et d’émission de gaz à effet de serre. Elle est aussi une menace à la préservation de la biodiversité et de la sécurité alimentaire.
Face au défi du changement climatique, qui est un défi global, le Cameroun s’est engagé à opérer une transition énergétique vers des modes de production et de consommation d’énergies propres. Ceci s’est traduit par la présentation de la Contribution Prévue Déterminée (CDN) au niveau national lors de la COP 21 en 2015 avec des objectifs précis en termes de réduction des gaz à effet de serre et de l’apport des sources d’énergies renouvelables au mix énergétique national à l’horizon 2035. C’est dans ce cadre que de nombreuses initiatives et solutions sont développées et encouragées, au nombre desquelles : le charbon écologique.
Encore appelé charbon vert ou Bio-charbon, le charbon écologique est un combustible solide produit à partir de résidus agricoles et ménagers biodégradables, riches en carbone. C’est l’une des solutions innovantes locale, actuellement développée dans plusieurs pays du sud, y compris au Cameroun. En fonction de la zone géographique, et des activités économiques qui s’y développent, il peut être produit à partir de divers déchets organiques (rebus de scierie, déchets agricoles, déchets ménagers, déchets de l’industrie agroalimentaire). Il se présente sous forme de briquettes ou de boule de la taille de morceaux de charbon de bois traditionnel.
Afin de comprendre et de mieux apprécier le processus de fabrication du charbon écologique au Cameroun, le Laboratoire d’Accélération a organisé des séances d’expérimentation et des tests auprès de 5 producteurs des régions de l’Extrême-Nord et du Nord (villes de Maroua, Garoua, Mokolo et Lagdo). Au cours de ces expérimentations, 4 types de charbon ont été testés à savoir : le charbon fait à base de papier ; le charbon fait à base des résidus agricoles ; le charbon fait à base des déchets organiques ménagers biodégradables et le charbon issu des déchets des exploitations de scierie. 3 constats et observations majeures se dégagent :
Première observation : description du procédé de fabrication du charbon écologique
Tous les producteurs rencontrés s’accordent sur un procédé de fabrication du charbon bio en huit étapes principales que sont : (1) la collecte des déchets, qui sont triés et classés par type ; (2) le séchage des déchets collectés via un séchage électrique ou au soleil ; (3) la pyrolyse qui permet d’obtenir un produit carboné ; (4) Le broyage du produit ainsi obtenu afin d’en faire une poudre homogène ; (5) l’association de la poudre obtenue à un liant (eau, gomme arabique, argile, amidon…) ; (6) le malaxage qui permet d'homogénéiser le mélange. Après le malaxage, viennent les étapes du (7) compactage qui permet de donner la forme voulue au charbon et du (8) séchage, étape essentielle avant l’empaquetage dans un conditionnement approprié.
Deuxième observation : composition du charbon écologique en fonction des zones géographiques du pays
Les produits utilisés (déchets collectés et liants) varient en fonction des zones géographiques. Ainsi, dans les zones septentrionales, les principaux déchets utilisés étaient les déchets agricoles (balles de riz ; maïs ; feuilles de neem etc) et le principal liant utilisé était la gomme arabique (plante issue de leur environnement). Cependant, dans les régions telles que le littoral, l’ouest et le centre, l’on a observé une plus grande valorisation des déchets ménagers et l’utilisation des liants tels que l’amidon de manioc.
Troisième observation : caractéristiques et performances du charbon écologique produit localement
Il existe de nombreux charbons dits charbons écologiques mais dont les caractéristiques techniques ne correspondent pas toujours aux caractéristiques attendues du charbon bio à savoir : un Pouvoir Calorifique Inférieur (PCI) équivalant à 8.7 kWh ; une durée minimale de combustion et l’absence de grosses fumées liée à la production du carbone.
Cette troisième observation est ressortie lors de l’expérimentation du charbon fait à base du papier recyclé et du charbon réalisé à base d’un seul liant. En effet, ces deux charbons bien que qualifiés de charbon écologique par les artisans locaux, émettent beaucoup de fumée et ont un pouvoir calorifique inférieur aux normes du charbon bio. A contrario, d’autres charbons testés ont répondu aux caractéristiques attendues du charbon bio.
Des constats et observations relevés lors des expérimentations, l’on en vient à la conclusion selon laquelle le charbon écologique a un avenir au Cameroun. En effet, il peut être produit dans toutes les régions, au regard de la disponibilité et de la diversité de la matière première. Le procédé est bien connu de l’ensemble des artisans locaux. Toutefois, il convient de bien encadrer celui-ci afin d’avoir des produits qui respectent les normes et standards en matière de préservation de l’environnement et de la santé des populations. Il est donc nécessaire pour ces artisans de disposer des équipements adaptés afin d’optimiser leurs rendements et ainsi réduire la pression sur les ressources forestières.
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Le charbon écologique : quels avantages sur le plan local et les effets sur le plan macroéconomique ?
De manière générale, le charbon écologique est une solution qui offre de nombreux avantages. En effet, que ce soit en zone rurale ou urbaine, l’on peut facilement remarquer que les déchets organiques ménagers et les rebus agricoles sont abandonnés en plein air. Et quand bien même ils sont collectés par les entreprises en charge de l’hygiène et de la salubrité, ces déchets se retrouvent déposés dans de vastes espaces sans réelle transformation. Ainsi, ils se fermentent, émettent des gaz à effet de serre et contribuent au réchauffement de la planète. La production du charbon écologique intervient dès lors pour résoudre deux problèmes majeurs que sont : (i) la gestion de l’environnement et (ii) l’accès des populations à une énergie de cuisson propre qui s’intègre dans leurs habitudes.
En matière de gestion de l’environnement, le charbon écologique contribue à la fois à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à la salubrité des villes et villages. En effet, c’est un charbon biodégradable dont l’empreinte écologique est neutre sur l’environnement. Par conséquent, il pollue très peu et permet de protéger les forêts et la biodiversité. A titre d’illustration, 1 Kg de charbon écologique = 5 Kg de déchets ; 2 Kg de bois ; et 1 Kg de charbon classique. Ceci veut dire que si l’on écoule 1 tonne de charbon écologique l’on a préservé 2 tonnes de bois et 1 tonne de charbon classique d’une part et d’autre part l’on a valorisé 5 tonnes de déchets et séquestré 3,7 tonnes de CO2.
En matière d’énergie de cuisson, le charbon écologique est une alternative idéale au charbon de bois car plus accessible, peu coûteux et respectueux des traditions culinaires locales, ce qui permet une rapide appropriation par les populations. Il permet à des populations à faible revenus de cuire leurs aliments sans réels dangers sur leur l’environnement et sur la santé. Il est à noter que 1 Kg de charbon écologique fait en moyenne 3H00 de cuisson avec un pouvoir Calorifique Inferieur (PCI) évalué à 8.7 kWh / kg ; valeur supérieure à celle du charbon classique (8 kWh / kg) et du bois (3.5 kWh/ kg).
Par ailleurs, le charbon écologique peut être utilisé à des fins autres telles que la production de l’électricité ; l’amendement des sols ; la lutte contre le stress hydrique pendant la saison sèche ; et comme insectifuge dans les parcelles agricoles paysannes. De plus en plus, le développement de ce secteur donne lieu à de nouveaux marchés et peut constituer une véritable activité génératrice de revenus pour les populations et par conséquent, contribuer à la réduction du chômage des jeunes et des femmes. Avec son potentiel de mobilisation communautaire, cette activité peut jouer un rôle majeur dans la promotion de la paix et de la cohésion sociale.
Lors de l’exploration, 300 individus (femmes et hommes) ont accepté de partager leurs expériences sur l’utilisation du charbon écologique. Ceci s’est fait à travers des entretiens semi-structurés avec des personnes ressources, des focus-group avec des femmes et des restaurateurs/restauratrices ainsi qu’un mini sondage en ligne. Ci-dessous quelques témoignages recueillis :
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« Le charbon écologique dès qu’on l’allume, on n’a pas besoin de ventiler pour la deuxième fois […] Il brule bien » Inna Thérèse, Mokolo |
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« Le charbon écologique est facile à utiliser, car il s’allume rapidement, dégage peu ou pas de fumée, ne noircit pas la marmite » Fadimatou, Maroua |
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« Le charbon de bois coûte 9000 frs CFA pour le sac de 50kg, or le charbon écologique est vendu à 6500F le sac de 45kg et est plus résistant […] J'utilise ce charbon écologique depuis plus de 2 mois. C'est tellement économique qu’avec un kg de charbon écologique (150 FRS), je suis capable de cuisiner 3 plats différents. » Restaurateur de Lagdo-Garoua |
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« C’est un charbon qui ne salit pas les marmites, et permet de cuire tous nos repas. Depuis que ma femme l’utilise, on fait des économies avec le savon et l’eau » Dominique, Douala |
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« En fabriquant notre propre charbon écologique, on est plus autonome et ça permet de ne plus être poursuivi par les services des forêts qui sont contre l’utilisation du bois dans notre communauté ». Mariama, Maroua |
Bien que le charbon écologique présente de nombreux avantages sur le plan local et a des effets sur le plan macroéconomique, son adoption comme énergie de cuisson en lieu et place du charbon de bois est un choix qui peut présenter des contraintes et nécessiter la prise en compte d’un certain nombre de leviers.
Les contraintes et leviers à prendre en compte pour envisager une transition énergétique à partir du charbon écologique
Parmi les contraintes, l’on note principalement l’incapacité de l’offre existante à satisfaire la demande. En effet, le besoin réel en charbon au Cameroun est estimé à 356 000 tonnes par an (GIZ-Pro/PFE, 2015), et pourtant, les productions du charbon vert se situent à environ 10% de ce besoin réservé exclusivement à l’exploitation domestique. Un sondage réalisé auprès de 20 artisans locaux explique cette faible capacité de production. A la question de savoir « Quelles sont vos difficultés en matière de production ? », les artisans ont répondu de la manière ci-dessous :
En plus de l’incapacité de l’offre existante à satisfaire la demande, la production du charbon écologique fait également face à la contrainte politique. En effet, la collecte des déchets au Cameroun est encadrée par un certain nombre de protocoles et d’accords tacites avec des entreprises privées chargées de les gérer. Quelques artisans locaux rencontrés dans la ville d’Ebolowa (Sud-Cameroun) ont relevé la difficulté à collecter les déchets pourtant abandonnés dans certains coins de la ville. Par ailleurs, le charbon de bois est un secteur contrôlé par de grands industriels. Ainsi, il est difficile pour les petits artisans locaux de s’imposer sur le marché.
Au regard de ces défis, 3 actions clés peuvent être envisagées à savoir :
Le faisant, il faudra prendre en compte trois aspects fondamentaux :
- Le rôle de la femme ;
- L’existence d’un foisonnement de solutions palliatives à l'utilisation accrue du bois et complémentaires au charbon écologique notamment les foyers améliorés adaptés aux besoins de cuisson de la communauté ;
- Le stockage des déchets collectés est essentiel pour maintenir une production/un approvisionnement constant, en particulier pendant les saisons humides.
La réflexion sur le charbon écologique comme solution locale pour la transition énergétique a été riche en découverte et en apprentissage. Au demeurant, l’on en vient à la conclusion que comme toute innovation, l’adoption du charbon écologique en lieu et place du charbon de bois est un défi, car la décision incombe aussi bien aux artisans locaux qui ont démontré leur savoir-faire et leur volonté, qu’aux acteurs politiques qui ont la décision et qui doivent créer le cadre institutionnel et l’environnement appropriés. Certaines régions du Cameroun à l’instar de l’Extreme-Nord ont mis en place des mesures favorisant l’adoption du charbon écologique comme l’interdiction du commerce du charbon de bois. Toutefois, de telles mesures ne sont durables que lorsqu’elles sont accompagnées par de mesures palliatives notamment une plus grande production du charbon écologique. Ainsi, il est important de mettre en place des mesures incitatives au développement de cette activité ; afin d’en faire une véritable industrie capable de répondre à la demande. Cela permettra d’avoir des bénéfices en termes de préservation de l’environnement, de création d’emplois pour les jeunes et les femmes, d’amélioration des conditions de vie des populations (santé et éducation) et de réduction des inégalités de manière générale.