Plus de 2,5 millions de kilomètres carrés, plus de 80 millions d’habitants vivant avec moins d’un dollar par jour, une faible gouvernance, une instabilité politique persistante, des problématiques de développement immenses et complexe : c’est la description la plus courante de la République démocratique du Congo depuis plusieurs décennies.
Avec ses 80 millions d’hectares de terres arables exploitées à 10% seulement, le secteur agricole est porté par les petits producteurs qui parviennent marginalement à nourrir la population congolaise contre une importation à 60% des denrées alimentaires. Le secteur contribue pourtant à plus de 20% du PIB malgré son manque criant de professionnalisation, de mécanisation et une faible productivité. Un élément qui reflète cette résilience c’est la production du manioc, principale culture vivrière du pays.
Le manioc, une denrée de premier ordre mais difficile à éplucher
Depuis des siècles, le manioc est une denrée de premier plan consommée sur toute l’entendue du territoire de République démocratique du Congo (RDC). Il revêt une importance capitale dans la lutte contre la faim, la sécurité alimentaire du pays et occupe la moitié des terres cultivées. Son impact économique est grand dans le commerce. La RDC est dans le top 5 de gros consommateurs de manioc du monde et sa production est rependue dans les 26 provinces mais avec un taux de transformation faible.
En effet, la production du manioc nécessite beaucoup d’effort entre la récolte et la commercialisation. L’épluchage fait partie d’une des contraintes la plus fastidieuse qui contribuent à réduire la rentabilité et la productivité de la filière. Elle nécessite une mobilisation importante en ressources humaines pour une faible quantité et qualité de traitement de la récolte des tubercules. Cela décourage beaucoup d’entrepreneurs agricoles et fragilise la capacité de production des petits exploitants majoritaires dans la filière. Cette tâche étant généralement dévolue à la femme et aux enfants. Plus de 20 personnes doivent travailler pendant plus d’une semaine pour éplucher 5 tonnes de tubercule. Cela suppose le paiement de la main d’œuvre sans compter les autres charges y afférentes.
Tous ces coûts additionnels grèvent la structure du prix du manioc qui gonfle le long de la chaîne de valeur. Résultat : le produit de consommation de base des Congolais devient inaccessible pour les ménages vulnérables accentuant l’insécurité alimentaire des plus démunis. En plus du facteur coût, le traitement traditionnel du manioc ne permet pas une augmentation de la production pour répondre à une demande toujours grandissante et influer sur la baisse du prix. La faible mécanisation du processus de transformation en général et de l’opération d’épluchage en particulier maintient la filière dans une productivité marginale pour lutter contre la faim. Pourtant, des pistes existent pour mécaniser le traitement du manioc et accroire la production.
L’éplucheuse de manioc nommée ZONGO III, possible levier de croissance de la filière
Dans le lot de solution découverte, cette machine 100% congolaise est le fruit de la créativité et de la passion de M. Zephyrin NDOMBI NDOMBASI, colonel du génie militaire à la retraite et entrepreneur agricole. Cette machine se positionne comme une solution à l’épineuse contrainte de l’opération d’épluchage qui en plus d’être pénible pour les femmes rurales. L’inventeur congolais a été maintes fois primé lors des concours d’innovation industrielle et sectorielle pour le travail réalisé et la valeur ajoutée que peut apporter sa machine au secteur agricole congolais.
Composée de matériaux très simple à 90 % locaux, cette machine comporte un essieu en bois dur recouverte de lanières en plastique et piqueté de clous en Inox alimentaire importés d’Allemagne. Le tout est recouvert de cylindre en PVC pour contenir les tubercules de manioc lors du travail d’épluchage. Tout cela couplé à un moteur thermique consommant 2,5 litres d’essence en six heures de travail pour le traitement de 3 à 5 tonnes de tubercules de manioc épluchés. Ce résultat est l’aboutissement d’améliorations apportées à quatre versions de la machine éprouvée au cours d’une multitude de tests.
Cette machine est en mesure d’éplucher plus de 15 tonnes de cosette de manioc en une semaine avec 4 à 5 personnes pour la manœuvre. Pour la même quantité, avec la méthode manuelle, il aurait fallu 25 personnes mobilisées avec tous les coûts correspondants et les risques de santé dus à l’épluchage manuel avec objet contondant. Ceci serait donc un gain en temps et une économie de coût considérable susceptible d’augmenter significativement la production de manioc et par conséquent l’amélioration des revenues des petits producteurs sans oublier l’amélioration de sécurité alimentaire dans les communautés.
En plus du gain de productivité qu’elle apporte, son poids sied bien à une manipulation aisée dans les milieux ruraux car elle peut facilement être déplacée par 4 personnes pour des distances raisonnables dans les villages et communautés productrices. Son poids revêt donc un avantage évident dans le cadre d’une utilisation mutualisée entre communautés, villages et coopératives paysannes. Cela ouvre aussi des perspectives de financement de groupe pour l’acquisition d’un outil de transformation adapté au contexte rural à un coût raisonnable, une aubaine pour les coopératives et autres institutions financières d’étoffer leur gamme de produits crédit avec destination cohérente.
Les perspectives du laboratoire
Nous envisageons de mener un processus de validation de la solution dans le but ultime de l’intégrer comme outil éprouvé pouvant servir au monde du développement. Le postulat est que cette machine pourrait aider à faire avancer positivement les indicateurs de l’ODD 2 et l’ODD 8 en RDC si son utilisation et son amélioration sont bien menées pour le bénéfice des communautés agricoles ou elle serait introduite.
Pour y parvenir, l’apport des parties prenantes de la filière du manioc seront mis à contribution dans le cadre de l’intelligence collective afin de considérer tous les contours qu’une telle solution peut avoir sur les écosystèmes agricoles cibles et en minimiser les risques au maximum. C’est pour cela que nous comptons mener des pilotes de démonstration d’efficacité opérationnelle de cette machine en collaboration étroite avec l’Institut National pour l'Etude et la Recherche Agronomique, l’Institut international d'agriculture tropicale et un point focal du ministère de l’industrie pour documenter les leçons apprises, proposer des pistes de mise à jour de la solution.
A la suite de cette expérimentation, proposer des recommandations de mise à l’échelle dans les programmes orientés vers le développement de la filière manioc comme une solution homologuée par le PNUD via son laboratoire avec le concours des instituts de recherche nationaux et régionaux.
Nous aimerions avoir de vos nouvelles au sujet de toute contribution susceptible d'améliorer notre approche pour ce cycle d’apprentissage dans le cadre de l’intelligence collective. Etes-vous intéressé ? n'hésitez pas à contribuer sur twitter @UNDPAccLabs ou à laisser une ligne dans les commentaires
Texte écrit par Serge Kusinza, Jules Kabangu et Pascal Mulindwa