Dans le processus de conduite du changement de la façon de faire le développement durable, nos labs agissent comme des creusets d’apprentissage suivant un protocole savamment élaboré autour de quatre étapes : la recherche de sens, l’exploration, les tests et la mise à l’échelle. Le tout, à l’aide de méthodes révolutionnaires comme la cartographie de solutions et l’intelligence collective destinées à rendre effective une approche par portefeuille. Sur l’ensemble du processus, les labs font face à des contraintes systémiques. Parce que d’une part les défis du développement durable sont changeants et complexes ; et d’autre part les approches traditionnelles se révèlent de plus en plus lentes à produire les impacts transformationnels souhaités. C’est pourquoi, nos unités sont d’abord des accélérateurs. Les défis devenus de plus en plus capricieux et têtus exigent une rapidité dans l’apprentissage et dans l’action pour optimiser les processus de changement. Il est donc primordial de penser l’accélération. C’est ce que ce billet tente de faire.
La tempête, le tunnel et l’horizon
Commençons par cette allégorie pour fixer le contexte : une famille de vingt membres subit dans sa zone de résidence une tempête multiforme. Le sable quitte le sol pour couvrir les maisons au point de les engloutir, une pluie torrentielle inonde les voies de communication et perturbe les télécommunications. Bientôt la maladie s’installe, entre épidémies de dysenterie et crise de paludisme récurrente, les enfants fragiles souffrent le martyr. Les denrées alimentaires commencent à se faire rares. Comme un déluge, la violente tempête a mis frein à toute activité économique pertinente. A l’horizon, un espace relativement paisible, échappe aux furies des précipitations, grâce à un tunnel béant qui sépare le lieu de résidence de la famille sinistrée à l’horizon lointain mais rassurant, tel un abri.
Dans la panique généralisée, la seule question qui traverse les esprits est celle de savoir comment mettre à l’abri la famille, comment atteindre l’horizon. De toute évidence face, aux contraintes de l’heure, le temps joue contre eux. C’est une question de survie. Dans cet imbroglio inquiétant, il y’a certes des contraintes existentielles, mais aussi un espoir. Même lointaine, la promesse d’un abri paisible pour la famille est réelle. Entre la tempête qui fait des ravages et qui inquiète et la promesse d’un horizon de félicité, il y’a le tunnel de tous les dangers et de toutes les chances ainsi que l’urgence d’agir.
Trois membres de la famille prennent la décision d’agir pour vaincre le signe indien. Il faut dire que cela fait plus de trois décennies que leur lieu d’habitation subit de façon intermittente les dégâts de la tempête ; qui de plus, s’intensifie à chaque épisode.
Ce que l’allégorie nous apprend sur l’Accélération
Appliquons l’histoire de cette malheureuse et résiliente famille au monde du développement pour saisir le sens de l’Accélération. La tempête et ses effets représentent les défis du développement durable, ceux-ci multiformes, changeants, se multiplient, se complexifient et deviennent une menace pour des populations entières comme cette famille à l’échelle du monde. Depuis plus de trente ans, à l’image de cette zone sinistrée, les fondamentaux universels du progrès s’effritent : la nature se déchaîne sous l’effet des déséquilibres climatiques, les épidémies se succèdent, les inégalités se creusent, les institutions se délégitiment même au niveau mondial, les circuits économiques ne génèrent plus les mécanismes justes de partage de la prospérité… C’est la survie même des modèles civilisationnels qui est en jeu. Le temps presse.
On comprend dès lors que c’est l’accélération des défis (changement négatif) qui crée la nécessité de l’accélération positive (changement positif rapide dans le développement). C’est donc l’expérience des défis qui fonde l’urgence de l’accélération. Bref il faut agir vite et bien.
Le monde l’a compris. Comme cette famille, le PNUD a déployé dans une centaine de pays trois profils issus des contextes locaux pour agir vite et bien…Pour accélérer les choses dans le sens de donner sens à l’horizon qui se profile. Nous avons la promesse de la félicité, pas de la facilité
Comment dès lors peut-on définir l’Accélération dans le contexte du développement durable ?
A la lumière des leçons de l’allégorie on perçoit que l’accélération implique dans l’ordre les notions de compréhension, de mouvement, de dynamique, de vitesse et de solution. En clair il s’agit d’un processus de compréhension profonde des défis actuels, dans un mouvement dynamique à une vitesse plus accrue pour dégager les voies de solutions durables. C’est-à-dire que le niveau de progression des facteurs des changements positifs doit être égal ou supérieur à celui des changements négatifs. L’Accélération est donc un processus d’échelle et une dynamique de seuil.
Pourtant, tout porte à comprendre que l’Accélération a besoin de temps. Car c’est le processus cumulatif des changements négatifs qui sert de déclencheur à la nécessité de faire vite dans le sens positif.
Mais quelles sont les conditions d’une Accélération effective ?
Depuis 2018, l’expérience des Accelerator Labs du PNUD, offre une opportunité de penser l’Accélération. Le travail des explorateurs, des cartographes et des expérimentateurs à travers le monde permet d’engranger une masse critique de connaissances, de développer une batterie de pratiques innovantes et d’apprendre de façon microscopique des défis du développement en creusant davantage des viviers de données et des segments d’acteurs souvent ignorés.
En Guinée, au fur et à mesure de notre parcours d’apprentissage, notre Lab se frotte à des réalités cachées pour étendre les frontières de la connaissance sur le développement, côtoie les ressorts systémiques pour donner une nouvelle perspective aux trompeuses évidences et appuie les interventions du Bureau Pays pour offrir de nouvelles approches porteuses de transformation durable à travers des protocoles uniques d’innovation. Et parce qu’au-delà de notre contexte immédiat, nous interagissons avec nos collègues du monde entier, nous sommes capables de mettre en relief des invariants positifs sans trahir la singularité des spécificités contextuelles.
C’est pourquoi, il est possible, à ce stade de notre parcours de fixer certaines conditions essentielles à la réalisation de l’accélération. Ce sont :
Les facilitateurs : Le terme juste et entier est un anglicisme : « Enablers ». Il s’agit d’éléments qui facilitent une action. Plus précisément, les enablers « permettent de… ». Ils sont à la fois des catalyseurs et des outils. Ils peuvent se présenter sous la forme d’un procédé organisationnel, d’une technologie, d’un partenariat, d’un mécanisme ou simplement d’une vision. En Guinée, l’idée des enablers comme condition de l’accélération a été identifiée par notre collègue Ousmane Bocoum, Innovation Analyst et Point Focal de l’Accelerator Lab. Nous l’avons traduite dans la mise en place du plus large réseau national de bénévoles pour l’innovation sociale « Be In » qui nous permet de façon rapide de collecter des données brutes et d’optimiser notre temps d’apprentissage.
Le sens de l’Initiative : Il est difficile de penser l’Accélération sans un minimum d’initiative. Or, toute initiative implique un minimum de prise de risques, étant donné que l’initiative rime souvent avec l’aventure. On ne sait jamais à quoi s’attendre de prime abord. Notre Lab a fait de la prise d’initiative- et partant de la prise de risques- l’un des paramètres clés de ses apprentissages. A certains égards, nous naviguons au-delà de nos défis frontières, explorant des sentiers jamais explorés auparavant ; expérimentant des approches à la fois curieuses et intrigantes et fixant des horizons souvent infiniment étendus. C’est ainsi que défiant toutes les formes conventionnelles de financement des entrepreneurs en Guinée, nous établissons un partenariat avec la firme Kiva, pour accélérer l’accès au financement des entrepreneurs ruraux. C’est ainsi que nous mobilisons près de 300 jeunes étudiants et activistes de la société civile, 12 Institutions d’enseignement supérieur, 5 Organisations de la Société Civile et une panoplie de personnes ressources pour domestiquer les méthodes de l’innovation sociale portées par le Lab.
L’opportunité : l’Accélération n’est pas une devinette. Bien que l’exigence de rapidité et de vitesse soit primordiale, et que l’attentisme doit être évitée, il est nécessaire d’identifier l’opportunité d’Accélération. Nous définirons l’opportunité d’accélération comme un concours heureux de circonstances, qui dans la dynamique du développement durable offre la possibilité de prendre des initiatives pertinentes en vue de la réalisation d’impacts visibles.. En Guinée, nous avons eu deux occasions uniques d’Accélération. La première nous a permis de développer le concept de « l’imagetronisme » c’est-à-dire le sens digital par l’image, la seconde-en cours-nous a conduit à mettre sur pied un modèle d’innovation sociale qui allie à la fois la réalisation d’impacts structurels dans le domaine du développement et structuration des chaînes de valeur agricoles dans l’économie informelle.
L’Inclusion systémique : la notion d’« inclusion » est rarement utilisée isolement. Pour employer l’entièreté de son sens, on l’intègre dans un vocable. On parlera ainsi d’inclusion économique, d’inclusion financière, d’inclusion politique mais surtout d’inclusion sociale suivant Niklas Lhumann (1927-1998) avec la caractérisation des rapports entre les individus et les systèmes sociaux. Justement, c’est le lien inclusion/système qui doit nous intéresser dans la dynamique de l’accélération. Les Labs pensent les systèmes ; entendus comme des ensembles de connexions tenant une cohérence d’ensemble. Mais, quand on considère les mécanismes traditionnels de développement, la schématisation ainsi que les dynamiques systémiques sont limitatives, parce que bureaucratiques et donc, in fine, exclusives voire exclusionistes. Nous avons eu l’occasion dans notre précédent blog Comprendre l’informalité : Plaidoyer pour une perspective émique | Le PNUD en Guinée (undp.org) de démontrer la rupture entre les réalités des travailleurs informels et les jugements faits sur l’informalité dans les processus administratifs et les postulats économiques. La leçon principale à tirer est que tout processus d’Accélération a besoin d’un système inclusif. Mais l’inclusion systémique ne doit pas se limiter à une intégration de l’ensemble des acteurs dans la pensée du système donné. Au-delà des acteurs, il s’agit de considérer les facteurs connus et non connus, des tendances de fond, les modèles comportementaux… L’inclusion systémique est donc un schéma qui réunit les hommes, les organisations, les données, les hypothèses, les processus ; le tout dans une parfaite interconnexion. Cela rappelle le système tel que pensé par David Easton (1917-2014), abstraction faite du pendant politique.
Il ressort de l’analyse précédente que l’Accélération est un processus à la fois méthodique et initiatique, parce qu’il requiert des conditions et subit un parcours. Cela nous conduit à la schématisation du processus d’Accélération.
L.E.A.D.I.N.G : comment conduire l’Accélération
Visualisons encore une fois la situation allégorique de notre famille sinistrée évoquée en introduction. Elle était arrivée à la conclusion qu’il fallait prendre action, laquelle action devait être conduite par trois de leurs membres. Leur mission est claire : conduire un processus pertinent très rapidement pour atteindre l’horizon au-delà du tunnel. Lorsqu’on connecte l’exigence de la conduite d’un processus d’accélération aux conditions de la mise en œuvre de celle-ci précédemment évoquées on obtient le schéma cyclique de l’Accélération autour de sept lettres composant l’anglicisme « Leading » (action de conduire). On note d’ores et déjà la nécessité d’un leadership, donc la capacité de réunir les quatre conditions de l’Accélération : Facilitation (enabling), Initiative, Opportunité et Inclusion Systémique.
Le LEADING tel que nous le concevons n’est pas seulement une voie ou une manière de faire, c’est aussi et surtout un état d’esprit de leadership. Et les Accelerator Labs en constituent une parfaite illustration. En prenant le leadership de l’apprentissage sur les défis du développement durable, les Accelerator Labs agissent comme un turbo destiné à dynamiser les interventions du PNUD et à redéfinir de façon plus efficiente les paramètres du progrès inclusif auprès des Etats et des acteurs classiques.
En somme, penser l’Accélération revient à tenir compte d’un certain nombre de conditions cycliques et à mettre en œuvre un canevas qui allie apprentissage, prise de décision et action.
Nos remerciements à l’ensemble de notre réseau BeIn dont les différents exercices d’apprentissage nous ont permis d’identifier, dans le contexte de la Guinée, les conditions et le canevas de l’Accélération. Une mention spéciale aux bénévoles Thérèse Camara, Ibrahima Baldé, Fatoumata Yarie Sylla à Faranah, Souleymane Kourouma, Emannuel Camara et Aminata Diané à Kankan, Mohamed Camara, Mamadou Bachir Bah, Adorphius Koué et Hassane Diallo à Labé, Ismaël Diakité, Alphonse Sonomou et Moussa Keita à Mamou, Ramata Condé, Fatoumata Yarie et Abdoulaye Sabou Diallo à N’zérékoré, Ramata Condé, Mohamed Cissé et Aissatou Kouyaté à Boké, Roquia Komah, Ibrahim Kalil Condé, Aminata Barry à Kindia. N’hésitez pas à nous contacter à l’adresse Acclab.gn@undp.org pour partager avec nous comment vous percevez l’Accélération dans votre contexte