Par Pierre Antoine, Responsable de l’expérimentation, Acc Lab, Haïti.
Comment la digitalisation peut faire une différence dans le domaine de la gestion des déchets solides en Haïti ?
21 janvier 2022
La pandémie de Covid-19 a impacté de façon significative notre façon de vivre et d’interagir avec nos semblables. La transformation digitale se présente alors comme une alternative permettant de faire face aux restrictions découlant de la stratégie de prévention ou de lutte contre sa propagation. La gestion des déchets résultant directement des activités humaines n’en est pas exempte et nécessite des approches différentes pour mieux s’adapter à un monde en constante évolution. Ce blog tente d’aborder quelques exemples d’utilisation du digital pour mieux gérer les déchets solides en Haïti.
État des lieux du digital en Haïti
Le secteur des nouvelles technologies de l’information et de communication est en pleine extension en Haïti. De plus en plus d’haïtiens et d’haïtiennes tournent vers ces technologies pour les activités professionnelles ainsi que pour les taches routinières. Les données publiées en janvier 2021 par Hootsuite et reprises sur le graphe 1 montrent que plus de la moitié de la population haïtienne utilise activement un téléphone portable contre 37% jouissant d’une connexion d’internet. Les réseaux sociaux se font de plus en plus populaire avec 20% d’utilisation dans le milieu haïtien.
Comparant les graphes 1 et 2, on observe que l’utilisation de ces nouvelles technologies croit en dépit d’un contexte socio-politique difficile sur fond de crise sanitaire occasionnée par la prévalence de la pandémie de Covid-19 dans le pays et les mesures de restriction qui s’en sont suivies. Le nombre d’abonné.es aux services de téléphonie mobile augmente de 3.1%, ceux et celles qui utilisent l’internet passent de 21.02% à 37.31%, soit une augmentation de 16.3%. L’utilisation des réseaux sociaux suit cette même suit cette même tendance à la hausse avec 15% de nouveaux utilisateurs/trices en janvier 2021. Ces données laissent présager un terrain fertile pour l’adoption de la digitalisation en Haïti. Un rapport détaillé sur la croissance du secteur des nouvelles technologies en Haïti est accessible ici.
Vue d’ensemble de la complexité du système de gestion des déchets solides en Haïti
Le travail du laboratoire a mis en lumière la complexité du système de gestion des déchets solides en Haïti. En effet, la recherche de sens dans un souci d’apprentissage pour mieux orienter la prise de décision nous amène à considérer une multitude d’acteurs souvent aux intérêts divergents qui entrent en ligne de compte dans la définition de ce dernier. Le schéma ci-dessous, conçu avec les informations fournies par les participants.es au dernier atelier de recherche de sens du laboratoire, représente les principales parties prenantes et leur relation directe ou indirecte avec les déchets solides retrouvés dans l’environnement ou sur les chaussées des voies de circulation dans le pays. Nous pouvons, du coup, observer la grande hétérogénéité de ces acteurs, ce qui illustre les difficultés à y trouver les solutions par une action unique. Par ce schéma, nous comprenons également que la problématique de gestion des déchets solides dépasse nos frontières et fait intervenir d’autres régulations qui ne relèvent pas forcément de la compétence des autorités locales. A mesure que nous en apprenons, nous analysons les signaux de changement projetés par les communautés envisageables dans une démarche innovante de durabilité. Ainsi, les récents progrès techniques en matière du digital s’offrent comme une alternative louable pour faire face aux défis complexes de développement parmi lesquels figure la gestion des déchets solides.
Une plateforme digitale pour la sensibilisation à la gestion des déchets solides
Le Système des Nations-Unies, en appui à l’état haïtien, exploite les atouts du digital pour sensibiliser les communautés et lutter contre les mauvaises pratiques en matière de protection environnementale et de gestion des déchets solides.
Pour comprendre la complexité de la gestion des déchets solides en Haïti, jetons un coup d’œil sur l’écosystème institutionnel étatique qui a la charge d’en régulariser et d’en assurer la bonne marche. Dans un premier temps, la responsabilité première de gestion des déchets solides dans les villes relève de la responsabilité des mairies. Mais, le SMCRS (Service Métropolitain de Ramassage des Résidus Solides) créé par le décret du 3 mars 1981, vient en support à ces dernières. Comme son nom l’indique, ce service se limitait uniquement dans la région métropolitaine comprenant les communes de Delmas, de Port-au-Prince, de Carrefour, de Pétion-Ville, de Kenskoff, de Tabarre, de Cité Soleil et de Croix-des-Bouquets. Du coup, la loi du 9 août 2017, publiée au journal officiel « le Moniteur » le 21 septembre de la même année, remplace le SMCRS par le SNGRS (Service National de Gestion des Résidus Solides). Celui-ci, contrairement à son prédécesseur, étend les services de gestion des résidus solides à l’échelle nationale.
En dépit de ces décrets de lois créant ces structures de soutien de l’état central aux mairies, les déchets solides représentent un défi majeur pour les décideurs politiques. Par ailleurs, la récurrence des catastrophes naturelles complique ou entrave encore plus les effets des interventions des acteurs à la fois nationaux et internationaux. Par exemple, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 (en particulier dans l’Ouest du pays) suivi de celui du 24 aout 2021 (dans le Grand Sud) se traduisant par des destructions des habitats et de déplacement massif de populations sont des faits probants mettant en lumière l’incidence des catastrophes naturelles sur la gestion des déchets solides en Haïti.
L’ONU est consciente de la complexité de la problématique de gestion des déchets solides et travaille en collaboration avec des acteurs étatiques et non-étatiques en vue des solutions innovantes. Sur cette lancée, l’ONU environnement de concert avec l’état haïtien et quelques acteurs de la société civile (FEM et ONQEV) ont lancé une plateforme en ligne (système d’information environnementale) regroupant les données sur les déchets solides et les conséquences d’une gestion inappropriée de ces derniers sur la santé des haïtiens, la pollution des écosystèmes marins et terrestres et le bien-être social en général. Cette plateforme regroupe une large gamme de données susceptibles d’intéresser toutes personnes concernées d’une manière ou d’une autre par la problématique de la gestion des déchets et ses effets sur l’environnement. La figure ci-dessous montre les étapes à suivre pour y accéder en cliquant sur ce lien.
Note : En suivant le lien, on accède au portail d’entrée qui se présente comme indiqué ci-dessous. On n’a qu’à cliquer sur la flèche pour accéder aux différents indicateurs d’analyse de la plateforme.
Implications communautaires et gestion des déchets
L’ECHO Haïti est une organisation communautaire locale qui a son siège social dans le Nord du pays, plus précisément dans la deuxième ville du pays. Lors de notre récent travail de cartographie de solutions dans cette ville, l’équipe du laboratoire du PNUD Haïti a approché cette organisation en vue de porter un regard plus soutenu sur ses innovations en matière de gestion des déchets liquides et solides.
En effet, L’ECHO Haïti est en train de conduire une expérimentation avec 1115 ménages dans le Nord du pays. Il place des toilettes écologiques chez ces ménages permettant de récupérer les excréments humains. Ces derniers paient en retour un montant mensuel de 375 gourdes (environ USD 3.75) pour ce service de collecte des excréments.
Ces excréments, mélangés avec des coques d’arachides et des bagasses de la canne-à-sucre, permettent de produire un compost de haute qualité. D’après son Senior Manager, Romel Toussaint, le projet « AVANSE » en a été un grand acheteur. Aujourd’hui, il diversifie la clientèle en plaçant ce fertilisant dans certains magasins qui offrent des biens et services multiples.
Comme montré sur les images ci-dessous, l’équipe du laboratoire du PNUD Haiti a visité l’atelier de fabrication du compost et des toilelles écologiques et trouve que ces deux initiatives innovantes peuvent amener à approcher la problematique de gestion des dechets autrement. Par conséquent, l’équipe du laboratoire analyse les perspectives de collaboration avec cette organisation en vue d’inclure certaines de ses initiatives dans son portefeuille de solutions innovantes.
Avant la COVID-19, l’ECHO Haïti faisait le porte-à-porte pour collecter les frais mensuels payés par les ménages pour le service de ramassage des excréments. Depuis la fin de l’année 2020, il se tourne vers la transformation digitale pour faciliter le paiement de ces frais et limiter les contacts physiques. Pour ce faire, il s’appuie sur un service de monnaie mobile offert par une compagnie de téléphonie mobile locale Les usagers des toilettes écologiques d’ECHO se sont abonnés à ce service. A la fin du mois, ils n’ont qu’à faire un clic pour verser les frais à l’ECHO.
Implications pour le laboratoire d’accélération du PNUD Haïti
Ces deux exemples que nous venons de citer, parmi tant d’autres qui puissent exister dans le milieu haïtien, montrent que la transformation digitale peut être une solution pour mieux aborder des défis de développement complexes à l’aube de ce 21e siècle. Par conséquent, elle s’aligne à l’approche du laboratoire qui s’appuie principalement sur l’intelligence collective et les nouvelles technologies comme voies et moyens pour faire également face à ces défis. En outre, le laboratoire travaille avec des acteurs de tout horizon et explore constamment des sources de données à la fois officielles et non-officielles en vue de trouver des solutions locales mieux adaptées.
Comme montré sur le diagramme ci-dessous, le travail du laboratoire s’inscrit dans un dilemme qui se caractérise par ce que « nous savons que nous ne savons pas » et « ce que nous ne savons pas que nous savons », ce qui limite notre compréhension de la direction que prend le système qui nous intéresse : ici, le système de gestion des déchets solides en Haïti. Il se cache, toutefois, derrière ce dilemme des idées innovantes susceptibles de faire une différence. Alors, comme laboratoire, nous réitérons notre implication active à trouver les interconnections entre les idées innovantes et entre les acteurs à l’origine de ces dernières afin de pouvoir influencer le devenir du système de gestion des déchets solides en Haïti.
Conclusions
Haïti montre des perspectives intéressantes pour l’adoption des solutions innovantes locales en vue d’accélérer l’atteinte de l’agenda 2030. Dans cet ordre d’idées, notre travail de recherche de sens et de cartographie de solutions aux déchets solides renforce notre compréhension de la complexité du défi lié à leur gestion et analysent des enjeux à la fois soupçonnés et insoupçonnés qu’il convient de prendre en compte pour mieux influencer la prise de décision. L’étape d’expérimentation qui s’en suivra, permettra d’apprécier l’efficacité de ces solutions en vue de la promotion pour une mise à l’échelle future.
Du coup, 2022 sera une année charnière dans l’existence du laboratoire, celui-ci travaille activement en vue de définir un portefeuille de solutions innovantes dans cette perspective d’expérimentation. Par ailleurs, l’effort pour une meilleure compréhension du système de gestion des déchets solides continue avec la conduite très prochainement d’une enquête nationale. Donc, le laboratoire veut être fidèle à sa philosophie qui se résume ainsi : « nous apprenons continuellement des défis pour mieux agir et pour nous orienter vers des solutions innovantes capables de dynamiser le développement en Haïti ».