L’impact du Projet « Appui à la réinsertion sociale des détenu.e.s »: parcours de réinsertion de femmes ex-détenues
5 octobre 2022
En appui au processus de réforme de la Justice, enclenché par l’État algérien depuis 1999, le PNUD soutient la Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion (DGAPR) dans son travail de prise en charge des détenu.e.s pendant et après leur incarcération, afin d’améliorer leur réinsertion sociale et de mieux répondre à leurs préoccupations et attentes.
Le projet « Appui à la réinsertion sociale des détenu.e.s » qui a débuté en 2014, a priorisé une approche plus humaine de la réinsertion sociale plaçant les besoins des détenu.e.s au centre des solutions. Il s’est appuyé sur le renforcement de la prise en charge psychologique des détenu.e.s via les services d’évaluation et d’orientation et a accordé une attention particulière aux groupes de détenu.e.s les plus vulnérables, notamment les femmes. Il a aussi renforcé de rôle des organisations de la société civile dans la prise en charge de la réinsertion des détenus par un partenariat plus efficace avec les services extérieurs dépendants de la DGAPR. Il a enfin permis de partager l’expérience algérienne de réinsertion au niveau régional.
Dans le cadre de ce projet, des programmes de traitement individuel des détenu.e.s ont été élaborés et le personnel concerné a été formé à leur mise en œuvre.
La totalité des établissements pénitentiaires algériens sont donc maintenant dotés des manuels de programmes de traitement psychologiques pour les détenu.e.s femmes, mineurs, toxicomanes, violents et récidivistes, et toutes les femmes et les mineur.e.s detenu.e.s bénéficient déjà de ces nouvelles thérapies. De même, un programme de thérapie multifamiliales a été mis en application dans 3 établissements pilotes et 23 psychologues ont été formés à son utilisation. A la suite de la mise en œuvre du programme de thérapie dédié à la violence, on a constaté une baisse de 97% du comportement agressif chez les détenus.
Le projet a aussi contribué au renforcement des services spécialisés dans la prise en charge des détenu.e.s, et à leur extension sur l’ensemble du territoire national.
L’ensemble des services d’évaluation et d’orientation (SEO) ont été dotés des batteries de 5 tests psychologiques et formés sur leur utilisation.
La société civile a d’ailleurs vu son rôle d’appui à la réinsertion sociale considérablement renforcé.
Le projet a dynamisé et appuyé le partenariat avec les organisations de la société civile autour de la réinsertion via un renforcement de capacités important dédié aux bénévoles des associations et au personnel des services extérieurs dépendants de la DGAPR. Par ailleurs, grâce à la plateforme développée par le projet et mise en place au niveau des 32 services extérieurs, 11000 détenu.e.s et 210 associations sont répertoriés et pris en charge plus rapidement et plus efficacement.
En 2021, plus de 6000 détenu.e.s ont été pris en charge en collaboration avec les OSCs pour une aide à la réinsertion sociale via la réinsertion professionnelle, l’acquisition de logements, etc.
Enfin, le projet a encouragé la tenue d’échanges Sud-Sud permettent la diffusion des meilleures pratiques régionale dans le domaine de la réinsertion.
Si elles représentent moins d’1,7 % de la population carcérale, les femmes détenues ont besoin d’une prise en charge spécifique. Le nombre limité des quartiers de femmes au sein des établissements pénitentiaires impacte sur leur parcours carcéral, qui se déroule généralement loin du lieu de vie, entrainant souvent une rupture définitive des liens avec le milieu extérieur et notamment la famille. Cet isolement a des répercussions néfastes sur leur parcours de réinsertion post-carcérale, car il les place en position de grande vulnérabilité et d’important risque de récidive.
En juin et juillet 2022, le PNUD Algérie a recueilli les témoignages de trois femmes, Fatima, (de la wilaya de Bouira), Nacera (Sétif) et Aicha (Tlemcen), trois anciennes détenues au parcours bien différents qui ont toutes bénéficié des actions menées par l’administration pénitentiaire et de la réinsertion sociale avec le soutien du PNUD en direction des services extérieurs pour améliorer l’accompagnement des femmes détenues.
Nacera, cadre au sein d’une entreprise publique, avait une bonne situation professionnelle avant son passage en prison. La première grande difficulté à laquelle elle admet avoir été confrontée lors de son arrivée dans le centre pénitencier fut d’ordre psychologique, en lien avec l’acceptation de son incarcération. Elle appréhendait aussi sa sortie de prison, s’inquiétant à l’idée de se retrouver sans ressources, et incertaine quant à l’attitude de ses proches. Mariée très jeune (19 ans) à une connaissance de son père, Aicha elle se trouva vite en situation difficile, avec un mari largement absent, et trois enfants à charge. Après son incarcération, elle s’inquiétait constamment pour ces derniers dont elle se trouvait séparée, et craignait elle aussi le rejet de son entourage à sa sortie. Comme Nacera, elle a vécu le choc de la détention très durement.
Nacera et Aicha relatent à quel point le soutien psychologique offert en prison a été déterminant pour leur permettre d’accepter leur situation et aller de l’avant.
Nacera : « La première grande difficulté que j’ai rencontrée était relative à l’acceptation de l’incarcération. D’un point de vue de principe ou psychologiquement ça été très dur pour moi d’admettre cette situation. […] Cette sortie hantait mon esprit, dans la mesure où je me demandais ce que j’allais faire après. Je ne percevais plus de salaires, j’appréhendais le changement de l’environnement social, des proches et donc, il était essentiel pour moi que je me reconstruise à zéro ».
Cette prise en charge psychologique des psychologues des services d’évaluation et d’orientation et des services extérieurs leur a permis de mieux gérer cette souffrance, et surtout, de commencer à envisager la vie post-carcérale.
« Ma prise en charge psychologique par des séances rapprochées au début de mon incarcération a été très positive dans la mesure où elle m’a menée vers des programmes de formation, avec à terme l’obtention de mon deuxième baccalauréat, et de diplômes en couture et en coiffure, qui m’ont fait oublier la situation tellement exceptionnelle que je traversais. Les services extérieurs, quand ils venaient régulièrement nous rendre visite, sensibilisaient les détenues aux différentes opportunités qui pouvaient s’offrir à elles à leur sortie. Ils nous rassuraient beaucoup quant à l’après libération, en nous promettant soutien et aide. Cela aussi m’apaisait et m’aidait à moins redouter la sortie ».
Aicha: « Ça été très dur car c’est un endroit que je ne connaissais pas, on y apprend la patience, on reconsidère différemment la valeur de la liberté »
« Durant mon parcours carcéral, j’ai reçu un soutien psychologique qui ne s’est pas limité à la première évaluation et aux séances hebdomadaires, mais qui a aussi été mis à ma disposition lorsque je l’ai demandé ».
Les services extérieurs ont aussi procuré un soutien psychologique aux femmes une fois sorties de prison.
Nacera : « Une fois remise en liberté la psychologue du service m’a accompagnée longtemps par des séances individuelles qui m’ont fait énormément de bien et que j’ai même recommandées aux amies à qui je rendais visite en prison et qui s’apprêtaient à sortir. »
Un parcours familial chaotique et d’importants problèmes relationnels ont conduit Fatima à la prison.
« Ma vie n’était pas stable, je vivais constamment dans le doute et la peur, parfois j’étais contrainte à vivre dans la rue ».
En prison, Fatima, après avoir rencontré les Services Extérieurs, commença à prendre part aux programmes de formation proposés par l’administration pénitentiaire et de la réinsertion.
« Une fois que j’ai commencé à fréquenter les Services Extérieurs, j’ai pu définir mes objectifs pour le futur : persévérer dans l’apprentissage et obtenir un travail. Les Services Extérieurs m’ont fait prendre conscience que c’était le seul moyen pour moi de m’en sortir, ce qui est le cas aujourd’hui ».
L’accompagnement, et notamment la formation reçue, ont permis à B d’acquérir une compétence importante pour assurer sa réinsertion socio-économique, la confiance en soi :
« Grâce au programme de formation, je suis sortie plus forte et plus déterminée que jamais. J’ai pu obtenir cinq diplômes en coiffure, couture, cuisine, décoration artisanale et gâteaux traditionnels. Grâce à cette expérience, j’ai réalisé que j‘étais capable d’accomplir beaucoup de belles choses. »
En 2020, elle a grâce au projet pu bénéficier d’une machine à coudre et donner ainsi un nouveau sens à sa passion pour la couture en lui permettant de développer sa propre activité génératrice de revenus. Aujourd’hui, avec cette machine, elle coud des draps qu’elle vend et forme aussi d’autres femmes à la couture.
A sa sortie de prison, Fatima n’avait pas de logement décent et dormait dans un garage. Elle a donc contacté les services extérieurs, qui l’ont orientée et appuyée dans ses démarches pour bénéficier d’un logement social, dans lequel elle réside maintenant.
« Maintenant, j’ai une stabilité sociale et financière, je suis complétement autonome et je remercie le bon Dieu pour cela ».
Aicha, elle a aussi bénéficié de l’accès à des formations diplômantes, en coiffure notamment.
Après avoir bénéficié du régime de liberté conditionnelle, elle a été dirigée vers les Services Extérieurs qui l’ont aidé pour qu’elle puisse bénéficier d’une formation sur la création d’entreprise et accompagnée dans les démarches auprès de la direction de l’artisanat pour faire reconnaitre son nouveau diplôme et pour constituer un dossier pour l’ANEM.
Aicha a maintenant trouvé un emploi dans une école en qualité de secrétaire.
« Si je parviens avec les services extérieurs à décrocher une formation d’éducatrice, je voudrai rester dans cette école pour me consacrer à ce métier ».
Elle a pu retrouver la garde de ses enfants, et a fait une demande de logement social avec l’appui des Services Extérieurs.
Son passage en prison a été l’occasion pour Nacera d’envisager une reconversion professionnelle :
« Je n’aurais jamais pensé aller vers l’entreprenariat avant mon passage en prison, cette expérience carcérale m’a faite prendre conscience que j’étais capable d’accomplir beaucoup de choses. Au plus profond de moi-même, je me sentais obligée de prouver à la société que j’avais évolué en bien après ce parcours […] Ma détermination a été extraordinaire lorsque je suis sortie définitivement de prison. J’ai tout de suite pris attache avec les services extérieurs qui m’ont aidée à créer mon entreprise. Ils m’ont délivré une lettre d’orientation qui m’a facilité l’obtention d’un crédit dédié au financement de mon projet ».
Grâce au soutien continu des Services Extérieurs, elle a pu être considérée comme prioritaire et obtenir un crédit de 10 000 000 dinars pour lancer sa propre entreprise d’emballage en 2019. Son usine emploie aujourd’hui 12 personnes dont quatre femmes, et compte une vingtaine de clients, dont quatre permanents. « La plupart connaissent mon passé et m’aident beaucoup par des commandes et même par des actions au profit des détenus. Je les remercie pour leur confiance et leur conviction relative à la réinsertion ».
Elle bénéficie encore actuellement du soutien des Services Extérieurs qui l’appuient dans ses efforts de coordination avec les autorités locales afin de bénéficier d’une assiette foncière permettant l’hébergement permanent et l’élargissement de son entreprise.
Pendant son incarcération, Nacera s’est elle-même investie dans le soutien scolaire de ses codétenues, et cette expérience l’a beaucoup aidée à se sentir mieux.
« Au fil du temps, je me suis moi-même investie dans le soutien scolaire de mes camarades et cette expérience a changé ma vision des choses. J’ai gagné une famille dans cette prison, mes camarades et mes encadreurs. D’avoir été formatrice pendant mon parcours carcéral (cours de soutien en mathématiques et sciences naturelles) a été une expérience personnelle formidable. Voir mes camarades réussir au BAC grâce notamment à mon soutien est un souvenir gravé dans ma mémoire ».
Elle poursuit désormais son engagement à travers son implication au sein d’une association intervenant au sein des prisons, l’association ARABT. Aujourd’hui à la tête de sa propre entreprise, elle a pu embaucher six ex-détenues à leur libération, et fournir à son tour un tremplin à ces femmes pour qu’elles puissent enclencher le processus de réinsertion.
Quand on l’interroge sur ses aspirations pour le futur, Fatima souhaite elle transmettre ce qu’elle a appris à travers le programme, en créant une association consacrée à la formation.
Toutes les femmes ont tiré des enseignements importants de leur passage par la prison :
Aicha : « Jamais je n’aurai cru un jour entrer en prison, penser à cette période me fait aujourd’hui réaliser qu’elle a été dure mais qu’elle m’a aussi renforcée dans mes responsabilités vis-à-vis de mes enfants. Tout ce à quoi j’aspire aujourd’hui c’est de leur garantir un avenir et une réussite scolaire. Durant mon incarcération, mon fils de 10 ans a tout fait pour progresser à l’école et il me transmettait ses bons résultats via mon père ce qui m’a apporté davantage de force et d’ambitions pour le futur ».
Fatima : « Mes relations familiales se sont améliorées ce qui a créé un équilibre dans ma vie ».
Nacera : « Si je n’étais pas rentrée en prison, jamais je n’aurais cru voir ce que j’ai vu. Des personnes évoluant en bien dans un tel contexte est une chose inimaginable et pourtant j’ai vu des femmes analphabètes apprendre à lire et à écrire. Plus que ça, j’ai vu certaines sortir avec des diplômes universitaires. La plupart d’entre nous ont aussi été diplômées en coiffure, couture, cuisine par envie, pas seulement par besoin aussi. J’ai à travers cette expérience constatée que l’Etat faisait beaucoup pour que les personnes le désirant, sortent de leur parcours criminel ».
« Je veux aussi m’investir davantage dans l’aide des femmes détenues car il faut comprendre que regagner la confiance est très difficile, pour une femme surtout. Mon combat est quotidien mais je ne baisse pas les bras ».
Avec cette initiative, l’Algérie se place à la pointe de la question de réinsertion de détenu.e.s au niveau régional.
Le projet, cofinancé par le Gouvernement Algérien et le PNUD, a bénéficié du soutien financier de plusieurs partenaires internationaux, dont les Etats Unis d’Amérique (MEPI) et de l’Ambassade de la Confédération Suisse en Algérie.