Avec l'entrée en vigueur de l’Accord de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) en janvier 2021, l’Afrique envoie un message puissant au reste du monde : l’Afrique est ouverte aux affaires. Cette fois-ci, l’Afrique améliore significativement le commerce intra-continental et démontre ainsi de façon retentissante que son développement futur s’articule autour du commerce, et non de l’aide.
Le marché africain (PIB) combiné des 55 États membres inscrits est évalué à 3,4 milliards de dollars (US), avec une population de 1,3 milliard de personnes, dont la majorité sont des femmes et des jeunes. Ainsi, l’Accord représente une proposition audacieuse pour renverser tous les obstacles qui se dressent face au commerce, afin de faciliter la libre circulation des biens et de créer un marché unifié. En mars, la ZLECAf et le Bureau régional pour l’Afrique (BRA) du PNUD ont conclu un partenariat stratégique pour promouvoir le commerce comme une impulsion pour le redressement socio-économique de l’Afrique après la crise de la COVID-19 et comme un fer de lance du développement durable.
Cependant, le tableau n’est pas tout rose. L’Afrique est le foyer de huit des quinze croissances les plus rapides au monde, et d’ici 2050, possèdera un consommateur sur quatre dans le monde, cependant, des préoccupations se dessinent sur comment le manque d’une croissance inclusive pourrait retarder la mise en oeuvre de cette projection du développement. L'agropastoralisme et le commerce transfrontalier informel (CTFI), attendu qu’ils soient des contributeurs majeurs de la croissance prévue à travers les opportunités d’emploi, la sécurité alimentaire et la prospérité, sont menacés par une insécurité, des conflits et un extrémisme violent grandissants. Les zones frontalières sont souvent les frontières et points de passage critiques de ce combat, une situation qui les rend particulièrement vulnérables. En outre, les répercussions socio-économiques de la crise de COVID-19 ont eu des conséquences disproportionnées sur les communautés frontalières, menant à la fermeture de commerces et à l'anéantissement des systèmes de protection sociale. En l’absence d’un soutien étatique solide, les moyens de subsistance des ménages les plus pauvres et les plus vulnérables des zones frontalières, dont la plupart dépendent du CTFI pour survivre, sont maintenant à risque. Cette perspective sinistre a constitué le discours principal sur les zones frontalières.
Malgré les difficultés, les zones frontalières d’Afrique sont remarquables de par leur incroyable résilience et adaptabilité, qui les ont rendus indispensables à la sécurité alimentaire en Afrique, principalement grâce au CTFI. Si les 270 millions d’habitants des zones frontalières sont soutenus, ils peuvent être prépositionnés et prendre plus qu’une part du gâteau sur les 3 milliards de dollars (US) d’investissements pour la résilience climatique et des infrastructures à faible émission de carbone en Afrique d’ici 2030, avec le développement d’un agropastoralisme et des pratiques commerciales durable pour l’environnement.
Cependant, mettre en place un développement durable des communautés frontalières nécessite un soutien aux innovations du CTFI. Le commerce transfrontalier informel peut transformer la vie des personnes les plus vulnérables. Ceci implique non seulement l’injection d’un financement catalytique pour soutenir le redressement à court terme des commerçants informels des zones frontalières, mais plus essentiellement l'identification, l’organisation, l'expérimentation, le développement et le prototypage de solutions développées localement pour améliorer les accès des commerçants au financement. C’est ce que le Centre des zones frontalières d’Afrique du PNUD, basé à Nairobi au Kenya, veut réaliser avec le Défi pour l’innovation 2021, ayant pour thème « L'amélioration des moyens de subsistance grâce au commerce transfrontalier informel (CTFI) ».
L’intervention apportera son soutien jusqu'à six communautés frontalières en Afrique afin de co-créer et développer des solutions innovantes pour financer les difficultés rencontrées dans la conduite du CTFI. Des solutions prometteuses seront identifiées à travers l’intelligence collective, les leçons retenues et une détection locale, puis seront développées pour être mises en oeuvre.
Les expérimentations réussies seront incubées, prototypées et répliquées dans d’autres communautés frontalières d’Afrique, de façon à assurer que les plus de 270 millions d’habitants des zones frontalières, qui sont actuellement à risque d’être laissés pour compte dans la course vers les ODD, seront soutenus selon leurs propres conditions et en se basant sur leurs propres solutions.
Les portfolios
Le Défi pour l'innovation cherche à poser la question suivante : comment les communautés, avec une présence de l'Etat limitée, un financement de la part du secteur privé limité, et de fait, sans la plupart des éléments constitutifs du développement, ont-elles été capables de se stabiliser, de s’adapter à la vulnérabilité et malgré tout de développer des foyers d'efficacité sur le CTFI ? Quelles innovations sociales spécifiques dans les communautés frontalières ont aidé à améliorer le financement du CTFI ? Quelles sont les innovations les plus prometteuses pour améliorer l'accès au financement des commerçants frontaliers informels les plus vulnérables, notamment les femmes et les jeunes ? Comment pouvons-nous faire l'expérience de ces innovations sociales les plus prometteuses dans le but de les développer en des solutions « prêtes pour l’investissement » et en des « nouveaux modèles » de pratiques de développement ?
Cinq types de portfolios sont prévus. Chaque offre des laboratoires d'accélération du PNUD doit proposer une activité innovante, dans un seul portfolio, qui a la meilleure perspective pour fournir des solutions innovantes aux difficultés rencontrées par les commerçants frontaliers. L'activité sélectionnée doit pouvoir être mise en oeuvre sous une période de 10 mois, idéalement dans une communauté frontalière (le laboratoire), à cheval sur au moins deux pays.
Quels sont les types d’innovation envisagés dans chacun des cinq portfolios? Il s’agit de l’intelligence économique, du financement participatif/fonds de financement commun, du déploiement de la technologie, des programmes de préparation à l’investissement et des initiatives pour un CTFI vert et écoénergétique.
Le rôle de l’intelligence économique dans l'amélioration de l'accès au financement des commerçants du CTFI est le premier domaine d’innovation de l’Appel à propositions 2021. Ce portfolio envisage l’utilisation d’une détection locale pour développer des perspectives avant-gardistes, qui pourront ensuite permettre aux commerçants du CTFI de prendre des décisions commerciales plus profitables et plus progressistes. Il vise l’extraction de données, l’archivage, l’analyse et de déploiement, sur des informations liées à la concurrence du marché, aux profils démographiques des clients, aux potentiels du marché, aux risques et des prospects en temps réel.
Le second portfolio est le financement participatif/Fonds de financement commun. Il se concentre sur l’identification de nouvelles sources de capital dans et hors des communautés, comprenant les risques associés avec la gestion de fonds et développant ceci en un système de crédit local pour les commerçants informels des zones frontalières. Des mécanismes communautaires de financement commun existent déjà mais nécessitent une organisation, une incubation et un développement. Ceci pourrait se produire via le développement des communautés, en bâtissant une impulsion et un consensus, et en mobilisant des fonds pour ajouter de la valeur au développement. La numérisation par exemple peut aussi jouer un rôle pour aider à trouver des sources de financement alternatives pour les commerçants frontaliers, y compris en dehors de l’espace géographique des zones frontalières. Il peut contribuer à la mobilisation de fonds et faciliter leur gestion de façon transparente, ainsi qu’à réduire les risques des entreprises frontalières, traitant ainsi le scepticisme des investisseurs potentiels dans le secteur formel.
La technologie représente un autre point critique d’entrée, sur laquelle une proposition peut vouloir se concentrer. Avec la pression accrue sur les communautés des zones frontalières d’Afrique de la migration, du changement climatique, du conflit, de l'extrémisme violent etc., et en prenant en compte que 70 % des commerçants informels sont des femmes, elles sont exposées à des vulnérabilités telles que les vols, l’exploitation par des agents des forces de l’ordre et autres formes de menace. Le déploiement de la technologie peut contribuer à la convergence des plateformes de paiement en ligne, de suivi et de gestion de la logistique, le développement de système d’alerte précoce pour les commerçants, et d’autres mesures capables d’améliorer la protection sociale. La réduction des risques en résultant peut ainsi favoriser la confiance des investisseurs pour soutenir le CTFI, d’une façon mesurable. Les programmes de préparation à l’investissement pour les jeunes entrepreneurs sont essentiels aux zones frontalières. Les jeunes doivent parfois faire face à des difficultés d’isolement géographique, de chômage structurel, d’un manque d’infrastructures et de services, limitant par conséquent leurs opportunités d’accumuler des capitaux. Ce portfolio de l’innovation doit ainsi cartographier un certain nombre d’entreprises dans lesquelles investir, cartographier les opportunités pour attirer des fonds, préparer les entreprises à être éligibles à l’injection de capitaux privés, soutenir les jeunes entrepreneurs pour comprendre les dynamiques des sources de financement externes, préparer et « vendre » leurs entreprises à des investisseurs potentiels.
Le financement du CTFI vert et écoénergétique est le dernier portfolio éligible au soutien dans le cadre du Défi pour l’innovation 2021. Il implique l’activation de sources d’investissement sociales et de flux financiers philanthropes vers les microentreprises et petites et moyennes entreprises (MPME) engagées dans le commerce transfrontière. Ici, l’accent est mis sur les activités pouvant générer des fonds, qui se concentrent sur la réduction de la pollution et des émissions de gaz à effets de serre, tout en réduisant les déchets et en améliorant l’efficacité de l’utilisation des ressources là où le CTFI a lieu.
Changer le discours
Avec le lancement du Défi pour l’innovation 2021 du PNUD, les communautés des zones frontalières d’Afrique ont non seulement l’opportunité historique d’écrire leur propre histoire de développement, mais elles ont aussi l’opportunité de contribuer à façonner la façon dont le développement doit se dérouler dans la périphérie. Chaque étape de cette aventure du CTFI sera organisée et deviendra des points d’apprentissage essentiels pour nous, en tant que praticiens du développement. Avec un peu de chance, cet engagement amorcera des initiatives capables de faire fonctionner le CTFI pour les plus pauvres et les plus vulnérables. Grâce à un réseau d’apprentissage sur les zones frontalières, les leçons tirées de ces processus seront systématiquement soumises à une analyse robuste, à un brainstorming et un prototypage dans les autres zones frontalières.
Les possibilités offertes par ce voyage vers l’innovation sont passionnantes. Il pourrait prouver que les zones frontalières ne sont pas un problème à résoudre. De façon contre-intuitive, il pourrait démontrer que les zones frontalières sont en fait un atout à saisir pour accélérer la réalisation de l’Agenda 2030 en Afrique et en rendant les dividendes de la ZLECAf accessibles aux communautés les plus marginalisées.