Entretien avec Evelyne Batamuliza, Consultante Genre au PNUD Tchad
Relever le défi de l’inclusion des femmes dans le processus de consolidation de la paix au Tchad
27 septembre 2022
Le PNUD et ses partenaires du Basket fund soutiennent les principales institutions mises en place pour dérouler la feuille de route de la transition au Tchad qui comprend respectivement le dialogue national, l’élaboration d’une nouvelle Constitution et l’organisation de nouvelles élections. Dans le cadre de cette feuille de route, le Tchad a débuté son Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) avec une cérémonie de lancement le 20 août dernier. L’un des axes majeurs du soutien de la feuille de la transition par le PNUD et ses partenaires du Basket Funds est basé sur la nécessité de garantir l’inclusion des femmes dans toutes les étapes de ce processus. Impliquer les femmes et les jeunes de manière significative dans les processus décisionnels reste l’une des conditions de la préservation de la stabilité et de l’émergence d’institutions durables de cette transition.
À cet égard, le PNUD a mené plusieurs actions de plaidoyer, de promotion et de renforcement de la participation des femmes au Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS). Par exemple, des rencontres successives visant à mieux coordonner l’action des femmes ont permis de mettre en place un mécanisme de coordination pour la participation effective des femmes au DNIS, sous la tutelle du ministère de la Femme de la Famille et de la Protection de la Petite enfance. En guise d’appui technique, une experte genre a également été mise à disposition de ce mécanisme, qui dispose d’une feuille de route et de ressources pour son fonctionnement. C’est dans cette dynamique qu’a été mise en place, au sein même du lieu de la tenue du DNIS, une cellule de veille dénommée quartier général (QG) des femmes.
Evelyne Batamuliza, consultante Genre au PNUD Tchad, a coordonné la mise en place du QG des femmes.
Qu’est-ce que le QG des femmes et d’où vous est venue cette idée ?
L’idée du QG des femmes me vient en fait du dispositif Women Situation Room (WSR) utilisé pour la première fois lors des élections au Libéria en 2011. Il s'agit d'une initiative bien connue en Afrique, adoptée par l'Union Africaine comme une bonne pratique pour garantir la participation des femmes aux élections, et comme un outil permettant aux femmes d’influer sur les élections pour une issue pacifique. Avant le début du DNIS, il est clairement apparu que la diversité dans le choix des participants serait cruciale pour assurer l’inclusivité du dialogue. Il était également évident que les discussions du DNIS pouvaient susciter des tensions, et que les femmes pouvaient jouer un rôle d’atténuation des mœurs et de promotion de la paix pendant et après ce dialogue. C’est dans ce contexte que le PNUD, en partenariat avec le Ministère de la Femme, de la Famille et de la Protection de l'Enfance, a mis en place le QG des femmes afin de poursuivre deux objectifs majeurs et non exclusifs : la participation effective des femmes au DNIS, et le plaidoyer en faveur d'un dialogue pacifique. Le QG des femmes est un espace de plaidoyer et un lieu de concertation et de mise en commun des potentiels des femmes afin de contribuer activement et significativement au DNIS. Tout l’enjeu est de renforcer une véritable prise en compte de la voix des femmes dans le Tchad nouveau qui sortira de ces assises visant la construction commune d’un nouveau contrat social.
Selon plusieurs études, les femmes souffrent d’une faible représentativité dans les instances décisionnelles au Tchad. Quels sont, pour vous, les défis de l’inclusion des femmes dans le DNIS ?
De manière globale, et au-delà du DNIS, les femmes, qui représentent pourtant 52% de la population tchadienne, souffrent d’une faible représentativité dans les instances décisionnelles pour des raisons multiples, certaines étant propres aux pays sub-sahariens et d’autres spécifiques au contexte tchadien. Revenons sur quelques chiffres et données sur la question du Genre au Tchad. Selon le rapport d’analyse genre réalisé par DAI Belgique en 2021, la coutume, la religion et l’analphabétisme sont les trois facteurs à la base de la discrimination des femmes. La diversité ethnique, religieuse et culturelle affecte les relations en subordonnant les femmes aux hommes. Les inégalités de genre sont ancrées en profondeur dans la société et sont présentes dans tous les domaines, représentant un défi majeur pour le respect des droits des filles et des femmes et plus globalement le développement du pays. Selon l’Index de l’Écart Global de Genre 2021 du Forum Économique Mondial, le Tchad est classé à la 148ème position sur 156 pays. L’Index de l’Inégalité de Genre du PNUD (IIG) classe le pays au 160ème rang sur 162 pays. Les défis à relever dans une perspective globale sont par conséquent liés, entre autres, au respect des normes juridiques qui garantissent les droits des femmes, à la représentation équitable des sexes dans les discussions et décisions, à la prise en compte, encore limitée, de la participation des femmes dans les initiatives politiques, économiques et sécuritaires, à l’autonomisation économique des femmes, à l’accès égal à l’emploi et à l’inclusion des femmes dans les négociations de paix. Sur ce dernier point, à titre d’exemple, aucune femme n’a été inclue lors de l'accord de paix de Doha entre les autorités de transition tchadiennes et 43 groupes politico-militaires.
Quelques progrès juridiques méritent néanmoins d’être mentionnées, tels que les travaux actuels d’élaboration du plan d’action national de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies pour les femmes, la paix et la sécurité, les articles 13 et 14 de la Constitution qui garantissent la protection des droits des femmes, l’égalité des sexes et l’égalité devant la loi, auxquels s’ajoutent la loi portant création de la politique nationale genre adoptée en 2017 et la loi instituant la parité dans les fonctions nominatives et électives instituée en 2018.
Le PNUD est déterminé à respecter ses engagements et à promouvoir un taux d’inclusion des femmes d’au moins 33% dans toutes les étapes du processus de transition. Plusieurs actions ont été mises en place pour développer et renforcer les capacités des femmes, et pour leur assurer un soutien continu pour une participation effective et pragmatique. Tout l’enjeu tient alors à l’influence significative des femmes dans les discussions du DNIS, et au devenir des décisions impulsées par celles-ci. D’où la nécessité d’une veille constante pour s'assurer que les résolutions sont effectivement mises en œuvre, en particulier celles formulées dans le cadre des résolutions 1325/1820 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Plus de 3 semaines après la mise en place du QG des femmes, quels en sont les résultats tangibles et quelles sont perspectives de ce dispositif ?
Plusieurs résultats sont très encourageants. Par exemple, grâce à la communication et au plaidoyer associés au lancement du QG des femmes, le nombre de femmes déléguées au dialogue national a plus que doublé, passant de 100 à 253. Les femmes représentent désormais près de 20% de l'ensemble des délégués, et c’est au QG des femmes qu’elles se réunissent quotidiennement pour élaborer des stratégies d’influence sur les thèmes clés du dialogue et pour s'assurer que les priorités partagées sont bien représentées et enregistrées dans la prise de décision. En réalité, ces concertations quotidiennes au QG des femmes contribuent à une unité d'action.
Je suis heureuse de voir comment la sensibilisation et le soutien technique continus au QG des femmes ont permis de renforcer la participation et le leadership des femmes dans les cinq groupes thématiques du DNIS (paix, cohésion sociale et réconciliation ; forme de l'État, constitution, réformes institutionnelles et processus électoraux ; droits et libertés fondamentales ; politiques publiques sectorielles ; et questions sociales). Les groupes de travail "Paix, cohésion sociale et réconciliation" et "Questions sociales" comptent plus de 30 participantes actives qui président les rencontres, rendent compte des discussions et des recommandations techniques, et veillent à ce que les aspirations des femmes soient prises en compte dans les décisions.
La mise en œuvre du dispositif QG des femmes dans le cadre de DNIS est une première initiative de ce type et de cette envergure, donc un premier essai. Je crois que ce dispositif va gagner en importance et en notoriété dans les prochaines étapes de la transition. Il est en effet indispensable pour l’établissement de la nouvelle Constitution et l’organisation des élections. Pour finir, j’aimerais souligner à quel point c’est un réel plaisir de voir comment, ne disposant que d’une courte période, nous avons réussi à mettre en place le QG des femmes grâce aux efforts conjoints des partenaires du Basket Fund, du ministère de la Femme, de la famille et de la protection, et de femmes dynamiques issues de diverses associations. L'avenir du QG des femmes est prometteur !