Comment la régénération des sols permet la transmission de père en fils
« Je suis convaincu qu'à l'avenir, la région d'Aral va prospérer. »
11 mai 2022
« Je m'en souviens très bien », se remémore Zhandos Moldagulov, « L'Aral était autrefois un port de pêche qui approvisionnait en poissons la plupart des pays voisins. Mes parents étaient fiers de vivre dans cet endroit où les ressources halieutiques étaient abondantes, les emplois prometteurs, les quartiers en plein essor et les terres fertiles. Mon rêve le plus cher est d'être un fils digne de mon père, en faisant en sorte que la ferme dont j'ai hérité soit productive et que les arbres s’épanouissent, pour laisser à mon tour une ferme prospère à mon fils. »
Âgé de 52 ans, Zhandos a vécu la majeure partie de sa vie dans la région d'Aralsk ou d'Aral, au bord de la mer d'Aral, reliant le sud du Kazakhstan à l'Ouzbékistan.
Avant que le Kazakhstan ne devienne indépendant, l'agriculture intensive et industrielle était très répandue. Au fil du temps, elle a fait des ravages en provoquant une érosion éolienne et hydrique importante et une pollution des sols avec des résidus toxiques et du sel.
Le paysage d’aujourd’hui est donc bien différent de celui dont Zhandos se souvient.
« À l’époque, je sortais de ma maison pour aller me baigner dans des eaux turquoise. Aujourd'hui, je me contente d'en rêver. Je crains que nous ne soyons pas en mesure de protéger la mer pour les générations futures à cause de politiques menées par les anciens décideurs. Depuis 25 ans maintenant, il est impossible de voir les eaux de la mer d'Aral depuis la maison où j'ai grandi. Nous avons perdu nos maisons, nos emplois, nos terres fertiles et nos voisins », observe-t-il tristement.
Un lac devenu désert
Ce qui était autrefois le quatrième plus grand lac du monde menace aujourd’hui de devenir un désert artificiel. En effet, dans les années 1960, les principaux cours d'eau qui se déversaient dans la mer d'Aral ont été détournés à des fins d'irrigation massive, et la mer s’est retirée progressivement, avec des conséquences économiques, sociales et environnementales dévastatrices. Il y avait autrefois plus de 1 100 îles dispersées dans la mer d'Aral. La région est désormais complètement enclavée et souffre d'un taux de chômage élevé. Quatre-vingt-cinq pour cent de la population est partie à la recherche d'une vie meilleure.
Sur la base des résultats et des recommandations des évaluations thématiques de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire et sur la dégradation et la restauration des terres, des pratiques de gestion durable des terres ont été préconisées par le projet Biodiversité et Réseau sur la biodiversité et les services écosystémiques (BES-Net) du PNUD. Ce projet a pour mission de lutter contre les effets de la désertification, restaurer la productivité des terres et soutenir de meilleurs moyens de subsistance. BES-Net est mis en œuvre par le PNUD conjointement avec d'autres partenaires des Nations Unies, l'UNESCO et le Centre mondial de surveillance pour la conservation du PNUE, ainsi qu'avec le soutien du gouvernement allemand et de SwedBio.
Une nouvelle approche était indispensable
Avec le déclin de l'industrie de la pêche, l'agriculture est devenue l’unique source de revenus de la majorité des habitants. Le père de Zhandos possédait 142 hectares sur lesquels il cultivait des légumes et des fruits, notamment des melons et des abricots sucrés et savoureux. Mais le manque d'eau, la grande variabilité du climat et les pratiques non durables d'utilisation des terres dégradent les sols fragiles. Il était clair pour Zhandos qu'une nouvelle approche était indispensable.
De nombreux agriculteurs étaient désireux d'acquérir de nouvelles connaissances sur les pratiques modernes d'utilisation des terres adaptées aux zones arides et au climat rigoureux. Ils ont donc volontiers saisi l'occasion de participer à l'événement de dialogue politique-science-pratique de BES-Net, ou Trialogue, mené à Almaty en 2019 et axé sur les questions interdépendantes des pollinisateurs et de la restauration des terres. Par la suite, des sessions de formation à la gestion durable des terres ont été conçues et des animations sont désormais proposées par le centre de vulgarisation « Kyzylorda » aux petits exploitants agricoles, avec le soutien financier du fonds de solution BES de BES-Net.
Zhandos a suivi une série de formations sur la gestion des entreprises agricoles, la gestion des banques de semences, la conservation des sols et de l’eau respectueuse des pollinisateurs, la contribution des pollinisateurs pour réhabiliter les terres dégradées ou abandonnées, ainsi que sur la culture de plantes adaptées.
Il était important pour lui de redonner à la terre de ses ancêtres sa santé d'antan, et ce pour une raison profondément personnelle. « Dès la fin de la formation, j’avais toutes les clés en main pour restaurer le jardin abandonné de mon père », a-t-il déclaré.
La régularité et la patience sont les clés de la réussite
Zhandos a réhabilité les 101 hectares avec succès. Il a commencé par adopter des mesures visant à améliorer la fertilité des sols, en utilisant des techniques de rotation des cultures et de cultures intercalaires, et en sélectionnant les variétés d'abeilles les mieux adaptées. Il a augmenté la teneur en eau du sol en le recouvrant de feuilles de plastique. Il a amélioré le drainage du sol en plantant des arbres tolérants au sel – ici, il n'irrigue qu'avec parcimonie pour éviter toute augmentation supplémentaire de la salinité du sol. Pour protéger les couches supérieures du sol contre l'érosion éolienne et l'incursion du sable en mouvement, Zhandos a planté un brise-vent de peupliers blancs. Il prévoit de réhabiliter les hectares restants dès que son budget le lui permettra.
« Les techniques que nous avons apprises fonctionnent vraiment sur ces sols secs. Il a fallu environ un an pour augmenter de moitié la productivité de mes terres et pour améliorer partiellement la capacité de production des arbres hérités du jardin de mon père. » Ses moyens de subsistance se sont améliorés grâce à l'augmentation du rendement de ses légumineuses et au quasi-doublement de son troupeau de bovins. Il a mis en place son propre système de compostage d'une capacité de production de 21 tonnes et a commencé à utiliser ce compost organique comme engrais sur ses terres afin de minimiser l'utilisation d'engrais synthétiques coûteux. Avec l'aide d'agronomes, il a planté des abricotiers, des pommiers, des cerisiers, des amandiers et des pruniers, en choisissant des variétés à maturité précoce pour assurer une récolte rapide. Il a utilisé ses ruches pour étendre la pollinisation croisée afin de doubler ses rendements. Avec ses fils, il a creusé un canal pour amener l'eau du canal principal, réhabilité grâce à un autre projet soutenu par le PNUD, « Autonomisation et opportunités économiques des femmes par l'accès à l'eau et aux infrastructures d’irrigation ».
Zhandos emploie désormais huit travailleurs permanents et 27 travailleurs saisonniers. Ce projet est non seulement source d'emplois, mais aussi d'espoir. Zhandos déclare fièrement : « Il est difficile d'imaginer que la vie de toute ma famille a changé simplement parce que j'ai amélioré ma compréhension des méthodes de culture dépendantes des pollinisateurs et commencé à gérer une entreprise agricole durable. Nous avons un certain nombre de nouveaux voisins qui sont retournés sur la terre de leurs ancêtres, et je suis sûr qu'à l'avenir, la région d'Aral connaîtra la prospérité. »
Les changements ne se limitent pas à l'argent pour Zhandos. Ils ont été importants pour maintenir l'unité de sa famille.
« Mes fils ne travaillent plus au centre régional en tant que chauffeurs de taxi ou travailleurs intermittents. Maintenant, nous travaillons tous ensemble sur notre terre, et mes deux fils ont monté de nouvelles entreprises, l'un comme éleveur de bétail et l'autre comme apiculteur. Tous les fruits et légumes frais que nous consommons proviennent désormais de notre propre parcelle, ce qui nous permet d'économiser environ 1 800 dollars par an. »
Et comme leur famille continue de s'agrandir, Zhandos peut vraiment dire qu'il a honoré l'œuvre de son père tout au long de sa vie et qu'il a fait en sorte que la prochaine génération connaisse elle aussi la prospérité.
« Bientôt, ma fille se mariera, et j'aurai assez de fruits et légumes frais, de viande et d'argent pour organiser un grand mariage et lui offrir un cadeau encore plus beau. »
Écrit par Firuz Ibrohimov et PNUD BES-Net Kazakhstan