Depuis le lancement du Laboratoire d’accélération du PNUD en RDC, la démarche entreprise dès le départ était de sécuriser un ancrage institutionnel au sein du ministère de la recherche scientifique et innovation technologique comme canal idéal pour impulser l’innovation par l’expérimentation au sein des circuit institutionnelles des ministères sectoriels.
Le fil conducteur de cette collaboration tire sa racine dans la quasi-inexistence d’une politique nationale de l’innovation et de la nouveauté du sujet pour ce jeune ministère qui ne s’était pas encore doté d’une feuille de route claire sur le volet innovation technologique de sa mission. Le ministère de la Recherche scientifique et Innovation technologique a été convaincu de l’utilité du protocole du laboratoire d’accélération du PNUD comme une approche pouvant servir à poser les bases d’un processus qui dotera le pays d’une stratégie nationale de l’innovation.
Un objectif trop ambitieux me direz-vous ? La RDC connait déjà des défis énormes pour opérationnaliser sa recherche scientifique à tel point que porter l’ambition d’une stratégie nationale de l’innovation raisonne comme une gageure. Naturellement, un certain nombre de questions se sont posée à nous ! Notamment comment assurer que le processus soit suffisamment collaboratif et inclusif de sorte à créer une dynamique d’intelligence collective autour d’une future politique de l’innovation ? La recherche du sens (SenseMaking) nous a paru comme le meilleur procédé de départ pour initier le ministère à apporter des réponses à la question permanente sur « qu’est ce qui se passe ? »
Un état de lieu sommaire sur l’innovation par la recherche du sens
Pour une mise en selle parlante, nous avons entrepris une tournée d’immersion pour tâter la réalité ambiante de l’innovation en consultant une palette variée de parties prenantes composée de centre de recherche, entreprises privées, universités, innovateurs et autorités publiques.
Les villes de Kinshasa, Goma, Kolwezi et Lubumbashi ont servi d’échantillons pour prendre le pouls et dimensionner les défis à adresser dans la construction d’une politique nationale de l’innovation. Il fallait savoir ce qui se passe concrètement dans les communautés.
A travers des « solutions safari » improvisées, des entretiens à questions ouverts avec des diverses parties prenantes, les conseillers du ministère ont commencé à valider le bien fondé du protocole « sensemaking » qui se définit comme un processus par lequel les individus essaient de donner un sens à leur environnement et aux événements qui s'y déroulent pour prendre des décisions adaptées et efficaces face à la complexité défis en présence.
Comment avons-nous procédé ?
Ainsi, nous avons conçu un questionnaire pour guider nos interactions et en assurer l’efficacité compte tenu du temps limité pour la mission et la diversité des entrevues à assurer avec les parties prenantes clés. Les informations recherchées étaient axées sur : [1] la conceptualisation générale de l’innovation et ses produits, [2] les acteurs et intervenants du secteur [3] le cadre juridique existant et sa documentation, [4] le périmètre d’action, [5] approches et bonne pratiques existantes, et [6] la perception des communautés sur l’innovation.
Nous ne visions pas une évaluation exhaustive mais plutôt initier les techniciens du ministère sur le bienfondé des méthodes d’immersions communautaires dans l’élaboration des politiques alignées aux attentes et défis des populations auxquelles elles s’adressent. « Ces interactions ont renforcé la nécessité d’un travail collaboratif et contextuel pour les politiques publiques mais aussi la découverte des hypothèses pratiques de travail autour des pilotes susceptibles de mise à échelle » a dit Jean Claude Mutombo, un des conseillers de la délégation.
De l’inconnue à l’espoir : nos découvertes
A Kinshasa :
- L’écosystème entrepreneuriale et numérique de la capitale a vu naitre des structures d’accompagnement de jeunes (startups) dans leurs projets de création d’entreprises. Les conseillers ont été surpris par la qualité des approches et visions qui leur ont été présenté par Ingenious City et Kinshasa Digital l’un des incubateurs et centre de formation sur l’innovation les mieux structurés de la ville. Elles utilisent les méthodologies innovantes dans l’accompagnement des incubés et apprenants telles que les hackathons pour découvrir des talents et stimuler la créativité, le design thinking dans la création des produits innovants adaptés, le crowdsourcing et l’intelligence collective avec d’autres incubateurs du pays sur des problématiques à portée systémique tels que la construction du startup act RDC.
- A Lubumbashi
- Le Centre d’innovation de Lubumbashi (CINOLU) est un jeune incubateur, pionnier dans l’accompagnement entrepreneurial et numérique de la ville cuprifère. Elle organise la majorité des évènements sur le digital à côté de l’activité d’incubation, de formation et de cocréation.
- Itot Africa est une structure de formation et de placement des jeunes dans le métier du numérique pour l’écosystème local et international. Elle se lance pour défis de pourvoir à l’emploi localement en formant les locaux en compétences numériques et en plaçant les concernés sur des livrables à l’échelle national et international.
- La FEC (Fédération des entreprises du Congo), en collaboration avec certaines entreprises minières, organise annuellement une foire éducative focalisé sur l’éducation de base et l’apprentissage des métiers très demandés dans la province pour susciter des vocations aux plus jeunes et mettre en lumières les filières demandées.
A Goma
- Le CRES est une ASBL qui regroupe les étudiants de différentes universités de Goma autour de certaines problématiques de science et technologie en lien avec les réalités de la province en appliquant l’approche de la recherche action. Ce centre a réussi à mettre en place une synergie de qualité entres les étudiants et les universités pour mutualiser les ressources disponibles et mener des expérimentations concertées sur terrain.
- UptoDev est une startup œuvrant dans la promotion des nouvelles technologies de l'information, conçoit des solutions numériques adaptées et promeut les jeunes dans la technologie à travers des formations de développeurs- programmeurs et des concours technologique dès l’école primaire.
- Un étudiant de l’ISTA Goma a développé un portique automatisé qui détecte les minerais via un scanner pour lutter contre l’exploitation illicite des minerais et la fraude douanière qui en découlent.
A Kolwezi
- L’ISTA Kolwezi a initié une approche pédagogique centrée sur les besoins des opérateurs miniers de l’écosystème pour d’une part équiper leurs étudiants en compétences recherchés et d’autres part répondre au déficit de compétences techniques locales. Cette méthode produit des taux de placement de l’ordre de 90% des étudiants au bout du processus.
- Le Gouvernement provincial est engagé dans une approche consultative avec les associations de creuseurs artisanaux et la société civile pour définir une stratégie provinciale de l’après mine focalisée sur le tourisme et l’agriculture comme alternatives.
Qu’a-t-ont appris de cet exercice de sensemaking ?
· Il ressort de cet exercice qu’à côté de la recherche scientifique institutionnelle et les entreprises multinationales, la dynamique de l’innovation existante est portée par les structures d’accompagnements sur le numérique et de l’entreprenariat principalement.
· Quelques instituts et universités se distinguent en osant des approches inhabituelles mais rien de systématique souvent sans garanties de pérennisation.
· Il y a des initiatives d’intelligence collective qui peuvent servir de modèle réplicable à échelle au niveau universitaire
· L’innovation au Congo c’est encore la débrouillardise. Cela renforce notre détermination à oser impulser des réflexions et expérimentations qui vont constituer le socle d’une vision stratégique de l’innovation à moyen et long terme.
Perspectives
Par la recherche du sens, un regard différent apporte une valeur ajoutée dans la compréhension de la complexité des défis à prendre en compte dans la politique nationale de l’innovation avenir.
Pour la continuité de cette ancrage institutionnelle, Le lab et le ministère de la recherche scientifique compte organiser une deuxième séance de recherche de sens avec l’implication des ministères sectoriels et une variété de parties prenantes. Ceci pour imaginer les alignements stratégiques nécessaires à une politique nationale de l’innovation contextualisée et produire une feuille de route pratique devant nous y conduire.
Nous sommes plus qu’ouvert à toute contribution susceptible d’enrichir cet ambitieux projet de doter la RDC de sa première politique nationale sur l’innovation. Vous pouvez contacter notre équipe par ce courrier électronique Jules.Kabangu@undp.org
Par Serge Kusinza, Jules Kabangu et Pascal Mulindwa